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métier que de mendier ainsi, car il y a des individus qui en vivent et qui l’ont préféré à tout autre. Lorsque par bonheur l’indigence vient se greffer sur un nom connu et respectable, c’est presque une fortune. Une femme titrée et veuve d’un général de la Restauration vit depuis quarante ans dans une aisance relative, et n’a d’autres moyens d’existence que les secours qu’elle reçoit à titre d’aumône des Tuileries, des ministères, de la chancellerie de la Légion d’honneur, de l’Assistance publique et de toutes les sociétés bienfaisantes qu’elle a pu découvrir. Comme elle ne suffisait pas à la correspondance considérable qu’elle était forcée d’entretenir, elle prit une demoiselle de compagnie qui lui servait de secrétaire, faisait les courses et allait quêter à domicile. Lorsque l’aubaine avait été fructueuse et qu’il s’agissait de la partager, les deux femmes se prenaient aux cheveux, se gourmaient d’importance, et faisaient un tel vacarme dans la maison que plus d’une fois leur portier fut obligé de monter chez elles pour y mettre le holà. À sa demoiselle de compagnie elle a ajouté deux autres solliciteuses par habitude, et ces quatre femmes forment ainsi une sorte de société régulière pour l’exploitation de la charité de Paris.

Il y a des indigents qui, malgré le dénûment où les maintient une paresse invincible, possèdent un costume en drap noir complet et un chapeau orné d’un crêpe. Ils sont à l’affût de tous les enterrements, se mêlent aux amis qui suivent le corbillard, parlent du défunt en termes attendris, et comme, dans une certaine classe du peuple parisien attaché à nos vieilles traditions païennes, toute cérémonie funèbre est suivie d’un repas, ils s’assoient à la table, font largement honneur au diner, et savent toujours s’esquiver quand le moment de payer l’écot est arrivé. On ne saurait trop se mettre en garde contre les ruses, souvent grossières, parfois très-compli-