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le connaître jusque dans les recoins les plus mystérieux.

Le matin ils arrivent dans une immense salle qui leur est spécialement consacrée ; ils trouvent réunies et déjà classées les demandes parvenues la veille ; ils les collationnent, en prennent connaissance, et ensuite consultent le dossier du signataire. Comme toutes les administrations bien dirigées, l’Assistance publique possède une collection de dossiers individuels des plus curieuses ; c’est la biographie même de l’indigence parisienne[1]. Le secret de bien des gens est là ; et peut-être en les parcourant serait-on fort étonné de voir que plus d’une personne riche laisse ses parents misérables vivre d’aumônes arrachées à la charité publique. Une fois ce premier travail accompli, et lorsque déjà le visiteur sait qui il va rencontrer, il se met en route et commence sa tournée, qui bien souvent le retiendra jusqu’au soir. C’est un peu un métier de juif errant, car en 1869 le service central a fait 185 400 visites.

J’ai accompagné les visiteurs dans leurs courses, et j’en suis revenu avec une impression qu’il m’est très-difficile de définir d’une façon précise. La misère que j’ai vue est effroyable, mais elle est surtout une misère de surface ; certes, il faut s’en réjouir, mais comment ne pas s’irriter en comprenant que le plus souvent elle est le résultat de débauches précoces, de paresse, d’appétits désordonnés, et que l’argent qu’on demande,

  1. Le 24 mai 1871, les gens de la Commune, dont plus d’un connaissait l’Assistance publique pour avoir été y recevoir des aumônes, ont mis le feu à l’administration : rien n’a été épargné, ni les archives, qui renfermaient tant de richesses historiques, ni les dossiers des hôpitaux, ni ceux des hospices, ni ceux des indigents secourus à domicile, ni ces dossiers si émouvants à parcourir où l’on réunissait avec tant de soins les notes indicatives, les lettres anonymes, les langes, les menus bijoux qui servaient bien souvent à reconstituer l’état civil des enfants trouvés ; tout a été brûlé : les documents pour servir à l’histoire de la bienfaisance parisienne ont été anéantis d’un coup.