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elles appartiennent ; ce sont des êtres hybrides ; leurs lèvres molles, couvertes d’un duvet roussâtre qui ressemble à une moisissure de mauvais aloi, leur voix forte et éraillée en ont fait des hommes, tandis que leur cou ridé, augmenté d’un fanon pendant, leurs mains faibles, une certaine câlinerie du regard, dénoncent qu’elles sont encore des femmes ; c’est un genre neutre que l’histoire naturelle a oublié de classer.

Elles sentent la crasse et le graillon ; un madras fripé est roulé autour de leur tête comme un turban informe et laisse échapper quelques mèches grisonnantes ; elles marchent dans des souliers éculés, au-dessus desquels s’enroule la spirale de bas douteux ; à la main, elles tiennent un cabas ressemelé de cuir, meuble ambulant où elles enferment tout ce qu’elles possèdent ; les croûtes de pain qu’on leur a données, le millet acheté pour leur serin, quelques paires de savates ramassées au coin des bornes, la tabatière et tout le fatras des petits ustensiles de ménage. Elles sont insatiables dans leurs demandes ; il leur faut du tilleul pour les faire dormir, de la camomille « pour leur pauvre estomac », du vin de quinquina pour les fortifier ; du sirop de gomme pour la tisane ; les plus hardies font comprendre qu’elles voudraient bien du sucre pour leur café au lait, mais elles en sont pour leurs frais d’éloquence. Si l’Assistance publique ne refusait imperturbablement le sucre, elle serait ruinée en moins de deux ans.

On est fort généreux envers les pauvres gens. Non seulement on leur distribue des médicaments gratuits, mais lorsqu’ils ont besoin de lunettes, de genouillères, de bas élastiques, de béquilles et de ces appareils orthopédiques que les ouvrages de force rendent si souvent indispensables au peuple de Paris, on leur en fait donner. Heureux lorsqu’ils ne les vendent pas immédiatement pour aller boire ! L’ordonnance signée par