Page:Du Camp - Paris, tome 4.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doux, lèvres décolorées et flétries. Elle portait dans ses bras un pauvre être qui semblait n’avoir que le souffle ; elle le regardait avec compassion et le montrait au médecin. J’interrogeai cette femme. « Quel âge avez-vous ? — Trente-quatre ans. — Vous avez d’autres enfants ? — Monsieur, j’en ai dix. — Qu’est-ce que fait votre mari ? » Elle devint toute rouge, ses yeux se mouillèrent, et d’une voix à peine distincte, elle répondit : « Des enfants ! » Je ne puis rendre l’impression que je ressentis ; ce mot cynique en lui-même était, dans sa brutalité naïve, l’explication de tant de misère, de tant de sacrifices, de tant de rêves déçus et d’une si profonde désespérance, que le médecin et moi nous nous regardâmes comme si nous venions d’entendre la révélation d’un forfait. Lorsqu’elle se leva pour partir, le docteur me fit un signe rapide, je la regardai marcher et je reconnus avec épouvante que ses dix enfants allaient bientôt avoir un frère.

Heureusement toutes ne sont point ainsi et ne sont pas, quoi qu’elles fassent, condamnées par leur fécondité même à une misère irrémédiable. C’est là mieux que partout ailleurs peut-être, en les voyant défiler une à une, qu’il est facile de se convaincre que la femme n’abdique jamais, à moins qu’elle ne soit absolument vaincue et matée par l’âge. Tant qu’elles n’ont point perdu toute figure humaine, la coquetterie persiste ; le médecin en causant avec moi exprimait cette idée avec une forme saisissante : « Elles n’ont pas de quoi manger, mais elles portent de faux chignons ! » Cela est strictement vrai. Il y a là des femmes pour qui le médicament obtenu est littéralement une sorte de nourriture, et qui trouvent moyen, on ne sait comme, d’acheter de la pommade et des jupons bouffants. Il faut qu’elles aient soixante ans et plus pour renoncer à « embellir leurs charmes ». On ne sait plus alors à quel sexe