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il est difficile de n’en être pas péniblement impressionné. Ne pouvait-on pas, puisque l’on reconstruisait les Halles de fond en comble, disposer des abris pour ces malheureux qui viennent de faire une longue course sur des charrettes découvertes ? Jadis ils avaient la ressource d’aller chercher un refuge dans les cabarets du voisinage, mais aujourd’hui ils n’ont même plus ce triste moyen d’échapper aux intempéries. Se serait-on, dans une installation si déplorable, moins inquiété de l’homme que de la denrée ? On peut le croire, car on lit dans un document officiel : « En 1842, un des fonctionnaires de la préfecture de la Seine, émettant son avis sur la question de savoir s’il était nécessaire de construire des abris, se prononçait pour la négative et s’exprimait ainsi : Le mauvais temps ne nuit pas sensiblement aux légumes sur le marché. » Il est possible, quoique le fait paraisse contestable, que la grêle et la pluie ne détériorent pas les navets, les choux et les petits pois ; mais l’homme n’est point ainsi, et il y aurait quelque humanité à élever des hangars vitrés où les marchands de ces denrées inaltérables pussent se mettre à couvert pendant les nuits inclémentes.

Plusieurs maraîchers se hâtent de déposer leurs marchandises, qu’ils cèdent en gros et à l’amiable, soit aux fruitiers, soit aux femmes des Halles, qui les revendront en détail ; ils donnent le picotin d’avoine à leur cheval et repartent promptement. On reconnaît facilement ceux qui sont si pressés à leurs voitures, qui sont toujours des tombereaux et jamais des charrettes. En effet, ils ont passé un contrat avec la compagnie concessionnaire de l’enlèvement des boues de Paris, et dès qu’ils ont déposé leurs denrées sur le carreau, ils s’éloignent pour ramasser, au coin des rues, ces tas d’ordures qui deviennent entre leurs mains un fumier fécond, à la fois chaud et léger. C’est un échange, une sorte de circulus