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garder sa proie ; la déception est trop forte pour moi, et ce que je n’ai pu faire à Paris, je vais le faire à Sainte-Hélène.

« J’irai prier sur sa tombe !

« J’avais rêvé de suivre un convoi triomphal, dans mon ancien uniforme de la Garde impériale ; je songeais déjà à vous appeler auprès de moi, tous deux, pour ce grand jour. Ce bonheur m’est refusé, ou du moins il va tant tarder que je serai mort avant de l’avoir connu.

« Puisque l’Empereur ne peut venir à moi, je vais à Lui ! « Votre père qui vous aime,

« jean cardignac,
« Colonel au 1er grenadiers de la Garde impériale. »


Ce soir-là, au mess des officiers de Blidah, Henri parla à ses camarades du retour possible des cendres de l’Empereur, des hésitations britanniques, et du pénible voyage qu’entreprenait son père.

Un long frémissement passa sur toutes ces âmes de soldats.

Vingt ans s’étaient écoulés depuis que le Grand Homme était mort là-bas dans « l’exil étouffant », et son nom était écrit dans le cœur de tous ces braves gens qui, sur un autre continent, s’efforçaient de rendre à nos jeunes drapeaux un peu de cette gloire dont la vieille armée avait été si prodigue.

Allait-il enfin soulever la lourde pierre scellée sur son génie par la haine de l’Angleterre, et dormir dans sa patrie de son dernier sommeil ? Que de vœux furent formés, ce soir-là, pour le retour de sa dépouille auguste !

Émus et rêveurs, les officiers de Blidah regagnèrent le bordj[1]. À travers les jardins et dans la splendeur de la nuit bleue qui baignait le front des palmiers, sous la tiède caresse du vent de l’Atlas, Henri évoqua tout un vol de Victoires qui, les ailes éployées, portaient vers la France un colossal tombeau de granit !

  1. Redoute.