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LETTRES D’UN INNOCENT

espoir que bientôt luira le grand jour de la lumière et de la vérité.

Embrasse tout le monde pour moi, ainsi que nos chers enfants.

Mille baisers pour toi,

Alfred.
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31 janvier 1895. — Jeudi
Ma chère Lucie,

Enfin voici de nouveau le jour heureux où je puis t’écrire. Je les compte, hélas, les jours heureux ! En effet, je n’ai plus reçu de lettres de toi depuis celle qui m’a été remise dimanche dernier. Quelle souffrance épouvantable ! Jusqu’à présent, j’avais chaque jour un moment de bonheur en recevant ta lettre. C’était un écho de vous tous, un écho de toutes vos sympathies qui réchauffait mon pauvre cœur glacé. Je relisais ta lettre quatre ou cinq fois, je m’imprégnais de chaque mot,— peu à peu les mots écrits se transformaient en paroles dites… il me semblait bientôt t’entendre me parler tout près de moi. Oh ! musique délicieuse qui allait à mon âme ! Puis, depuis quatre jours, plus rien, la morne tristesse, l’épouvantable solitude.

Je me demande vraiment comment je vis ; nuit et jour mon seul compagnon est mon cerveau, aucune occupation si ce n’est celle de pleurer sur nos malheurs.

La nuit dernière, quand j’ai pensé à toute ma vie passée, à tout ce que j’ai peiné, travaillé, pour acquérir une situation honorable… puis, quand j’ai com-