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INTRODUCTION

d’écriture constatées, ne pouvant être volontaires, prouvaient que Dreyfus n’était pas l’auteur du bordereau. Voilà ce que disait le bon sens. C’est, sans doute, la fragilité d’une expertise aussi peu concluante qui fit juger nécessaire, une fois le débat clos, la communication des pièces secrètes. Mais si cette expertise ne pouvait être une base sérieuse pour la condamnation et si, d’autre part, on ne pouvait juger Dreyfus sur des pièces qui ne lui avaient pas été communiquées, sur quoi donc pourrait-on se fonder pour accepter comme exacte la sentence du Conseil de guerre ?

La justice peut se tromper, nous dit-on ; mais il ne suffit pas d’une possibilité d’erreur pour revenir sur la chose jugée. Soit ; nous ne l’ignorons pas. Mais il ne s’agit pas seulement de possibilité d’erreur : l’événement en a prouvé la certitude, lorsque sont venus de nouveaux éléments d’appréciation devant lesquels il n’est plus permis d’invoquer les fictions juridiques et de fermer les yeux.

Le Conseil de guerre de 1894 ne savait pas tout, lorsqu’il a cru devoir déclarer Dreyfus auteur du bordereau que lui attribuaient MM. Bertillon et Teyssonnières. Il ignorait ce qui a été découvert en 1896 par le lieutenant-colonel Picquart, à savoir que ce bordereau était de l’écriture du commandant Esterhazy.

À partir de ce moment, il n’y a plus eu à interpréter le défaut de similitude constaté avec l’écriture de Dreyfus et à supposer qu’il puisse être le résultat d’un calcul et d’une dissimulation. L’écriture de Dreyfus est dissemblable, dans son ensemble, de celle du bordereau, par cette raison toute naturelle