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LE CAPITAINE DREYFUS

voudrais pouvoir déchirer à coups d’épée ce voile impénétrable qui entoure ma tragique histoire ! Il est impossible qu’on n’y arrive pas.

Donne moi des nouvelles de vous tous, puisque les seules lettres que je reçoive sont les tiennes. Parle-moi de nos chers enfants, de ta santé. Je t’embrasse comme je t’aime,

Alfred.
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Le 25 janvier 1895.
(Vendredi)
Ma chère Lucie,

Ta lettre d’hier m’a navré, la douleur y perçait à chaque mot.

Jamais, vois-tu, deux infortunés n’ont souffert comme nous. Si je n’avais foi en l’avenir, si ma conscience nette et pure ne me disait pas qu’une pareille erreur ne peut subsister éternellement, je me laisserais certes aller aux plus sombres idées. J’ai déjà, comme tu le sais, résolu une fois de me tuer ; j’ai cédé à vos remontrances, je vous ai promis de vivre, car vous m’avez fait comprendre que je n’avais pas le droit de déserter, qu’innocent je devais vivre. Mais, hélas, si tu savais combien parfois il est plus difficile de vivre que de mourir !

Mais sois tranquille, ma chérie, malgré toutes mes tortures, je ne démentirai pas vos généreux efforts, je vivrai… tant que mes forces physiques et surtout morales le permettront.

Toute la nuit j’ai pensé à toi, mon adorée, j’ai souffert avec toi. Je t’ai écrit chaque jour depuis