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LE CAPITAINE DREYFUS

quand je me vois en ta présence, je te regarde, je ne me souviens plus de rien… Tout ce qui m’arrive me paraît un rêve, il me semble que nous n’allons plus nous séparer, que je me réveille enfin d’un horrible cauchemar… Mais hélas, la réalité est là, c’est la séparation.

Ah le misérable qui a commis ce crime et nous dérobe notre honneur, ce n’est pas un châtiment ordinaire qu’il mérite… J’espère que le jour où on le découvrira enfin, l’opinion publique clouera son nom au pilori de l’histoire… que le supplice qu’on lui infligera sera au dessus de tout ce que l’on peut imaginer…

Je te demande pardon de mon énervement, de mon impatience. Mais comprends, ma chérie, ce que sont pour moi ces longues heures, ces longues journées !

Mais je suis cependant plus calme après chaque entrevue, je puise de nouvelles forces, une nouvelle dose de patience dans tes regards, dans ton amour.

Ah, cette vérité, il nous la faut, brillante, claire et lumineuse ; je ne vis que pour cela, je ne vis que dans cet espoir.

Et cette vérité, comme tu me l’as si bien dit, il nous la faut entière, absolue… il faut qu’il ne subsiste de doute dans l’esprit de personne, il faut que mon innocence éclate complète, il faut que l’on reconnaisse que mon honneur est aussi haut placé que celui de qui que ce soit au monde.

Et pour cela évidemment, il faut que je prenne patience… je le reconnais avec toi… Mais le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas ! Si je pouvais endormir mon cerveau jusqu’au jour où l’on