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LETTRES D’UN INNOCENT

un Dieu, s’il y a une justice en ce monde, il faut espérer que la vérité éclatera bientôt et nous dédommagera de tout ce que nous avons souffert.

J’ai mis les photographies des enfants devant moi, sur la tablette de ma cellule. Quand je les regarde, les larmes mouillent mes paupières, mon cœur se fend… mais cela me fait en même temps du bien, raffermit mon courage. Apporte-moi aussi ta photographie. Vos trois figures devant les yeux seront les compagnons de ma triste solitude.

Ah ! ma chère femme, tu as une noble mission à remplir, pour laquelle il te faut toute ton énergie. C’est pourquoi je te recommande instamment de soigner ta santé. Tes forces physiques te sont plus nécessaires que jamais. Tu te dois à tes enfants d’abord, au nom qu’ils portent ensuite. Il faut prouver au monde entier que ce nom est pur et sans tache.

Ah ! cette lumière sur ma tragique affaire, comme je la souhaite, comme je l’attends, comme je voudrais l’acheter, non seulement au prix de toute ma fortune, cela est tout naturel, mais encore au prix de mon sang !

Si seulement je pouvais endormir mon cerveau, l’empêcher de penser toujours à cette énigme indéchiffrable pour lui ! Je voudrais pouvoir percer les ténèbres, qui enveloppent mon affaire ; je voudrais gratter la terre pour en faire jaillir la lumière.

Tu me répondras avec juste raison qu’il faut prendre patience, qu’il faut du temps pour arriver à la découverte de la vérité… Je sais tout cela, hélas ! Mais que veux-tu, les minutes sont pour moi des heures… Il me semble toujours qu’on va venir me