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LE CAPITAINE DREYFUS


Écris-moi matin et soir ; quoique je reçoive tes deux lettres en même temps, je te suis ainsi par la pensée, je te vois agir, il me semble que je vis auprès de toi.

Je m’occupe un peu à lire et à écrire, j’essaie ainsi d’éteindre les bouillonnements de mon cerveau et de ne plus penser à ma situation si triste et si imméritée.

Pardonne-moi, ma chère, si parfois je gémis…, mais que veux-tu, il m’arrive, sous l’amertume des souvenirs, d’avoir besoin d’épancher dans ton cœur le trop plein du mien. Nous nous sommes toujours si bien compris, mon adorée, que je suis sûr que ton âme forte et généreuse palpite d’indignation avec la mienne.

Nous étions si heureux ! Tout nous souriait dans la vie. Te souviens-tu quand je te disais que nous n’avions rien à envier à personne ? Situation, fortune, amour réciproque de l’un pour l’autre, des enfants adorables… nous avions tout enfin.

Pas un nuage à l’horizon… puis un coup de foudre épouvantable, inattendu, si incroyable même, qu’aujourd’hui encore il me semble parfois que je suis le jouet d’un horrible cauchemar.

Je ne me plains pas de mes souffrances physiques, tu sais que celles-là je les méprise ; mais sentir placer sur son nom une accusation épouvantable, infâme, quand on est innocent… Ah ! cela non ! Et c’est pourquoi j’ai supporté toutes les tortures, tous les affronts, car je suis convaincu que tôt ou tard la vérité se découvrira et qu’on me rendra justice.

J’excuse très bien cette colère, cette rage de tout un noble peuple auquel on apprend qu’il y a un