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LE CAPITAINE DREYFUS

fer. Les souffrances physiques ne sont rien, tu sais que je ne les crains pas, mais mes tortures morales sont loin d’être finies. Ô ma chérie, qu’ai-je fait le jour je t’ai promis de vivre ! Je croyais vraiment avoir l’âme plus forte. Être résigné toujours quant on est innocent, c’est facile à dire, mais dur à digérer.

Écris-moi bien vite, ma chérie, tâche de me voir, j’ai besoin de puiser de nouvelles forces dans tes yeux chéris.

Mille bons baisers,

Alfred.
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6 janvier 1895, dimanche 5 heures.

Pardon, mon adorée, si dans mes lettres d’hier j’ai exhalé ma douleur, étalé ma torture. Il fallait bien que je les confie à quelqu’un ! Quel cœur est plus préparé que le tien à recevoir le trop-plein du mien ! C’est ton amour qui m’a donné le courage de vivre ; il faut que je le sente vibrer près du mien. Montrons que nous sommes dignes l’un de l’autre, que tu es une femme noble et sublime.

Courage donc, ma chérie. Ne pense pas trop à moi, tu as d’autres devoirs à remplir. Tu te dois à nos chers enfants, à notre nom qu’il faut réhabiliter. Pense donc à toutes les nobles missions qui t’incombent ; elles sont lourdes, mais je te sais capable de les entreprendre à condition de ne pas te laisser abattre, à condition de conserver tes forces.

Il faut donc lutter contre toi-même, rassembler toute ton énergie et ne penser qu’à tes devoirs.

Quant à moi, ma chérie, tu sais si j’ai beaucoup souffert hier ; plus encore que tu ne peux te l’ima-