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LETTRES D’UN INNOCENT
Lundi, 31 décembre.
Ma chère Lucie,

J’ai aussi longuement pensé hier au soir à mon père, à toute ma famille ; je ne te cacherai pas que j’ai beaucoup pleuré. Mais ces larmes m’ont soulagé. Notre consolation, c’est l’affection profonde qui nous lie tous, c’est l’affection que je rencontre aussi chez les tiens.

Il est impossible, avec ce faisceau si puissant, avec l’aide de Me Demange qui se montre aussi d’un dévouement remarquable, que nous n’arrivions pas tôt ou tard à la découverte de la vérité. J’avais eu tort de vouloir déserter la vie, je n’en ai pas le droit. Je lutterai jusqu’à mon dernier souffle. Dans ces longues journées et ces tristes nuits, mon âme s’épure et se fortifie. Mon devoir est nettement tracé : il faut que je laisse à mes enfants un nom pur et sans tache.

Travaillons à cela, ma chérie, sans trêve ni repos. Aucune démarche, aucune tentative ne doit vous rebuter, il faut tout tenter.

Les livres de M. Bayles que tu m’as envoyés sont suffisants pour le moment ; plus tard il me faudra un ouvrage présentant exercices et corrigés en face, afin que je puisse travailler moi-même.

Pour le moment, il faut que je rassemble toutes mes forces pour supporter l’horrible humiliation qui m’attend.

Mais ne vous relâchez pas un seul instant. Vous pourrez peut-être tâter un terrain dont j’ai parlé ce soir à Me Demange ; il ne faut rien négliger et tout essayer.

Je t’embrasse comme je t’aime,

Alfred.