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LE CAPITAINE DREYFUS

Peut-être arriverai-je à résister pour être à hauteur de toi. Ce ne sont pas les souffrances physiques que je crains ; celles-ci n’ont jamais pu m’abattre, elles glissent sur ma peau. Mais c’est cette torture morale de savoir mon nom traîné dans la boue, le nom d’un innocent, le nom d’un homme d’honneur. Crie-le bien haut, ma chérie ; criez tous que je suis un innocent, victime d’une fatalité épouvantable.

Arriverons-nous à découvrir le véritable coupable ? Espérons-le, car ce serait à désespérer de tout.

J’espère te voir bientôt, et c’est ce qui me console. Toute la journée, toute la nuit, mes pensées vont vers toi, vers vous tous. Je pense au bonheur dont nous jouissions et je me demande encore par quelle fatalité inexplicable il s’est brisé ainsi.

C’est le drame le plus effroyable qu’il m’ait été donné de lire, et celui-ci est vécu, malheureusement.

Enfin, soigne-toi bien, ma chérie, il te faut toute ta santé, toute ta vigueur physique, si tu veux mener à bien la tâche que tu as entreprise si noblement.

Je t’embrasse, ainsi que mes pauvres chéris, auxquels je n’ose pas penser.

Mille baisers,

Alfred.
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26 décembre 1894.
(Mercredi, quatre heures.)
Ma chérie,

Tu me demandes ce que je fais toute la journée. Je pense à toi, je pense à vous tous. Si cette pensée consolante ne me soutenait pas, si je ne sentais pas, à travers les murs épais de ma prison, le souffle