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APPENDICE
Prison de la Santé.
(Samedi.)
Cher Maître,

J’ai tenu la promesse que je vous avais faite.

Innocent, j’ai affronté le martyre le plus épouvantable qu’on puisse infliger à un soldat ; j’ai senti autour de moi le mépris de la foule ; j’ai souffert la torture la plus terrible qu’on puisse s’imaginer. Et que j’eusse été plus heureux dans la tombe ! Tout serait fini, je n’entendrais plus parler de rien, ce serait le calme, l’oubli de toutes mes souffrances.

Mais hélas ! le devoir ne me le permet pas, comme vous me l’avez si bien montré.

Je suis obligé de vivre, je suis obligé de me laisser encore martyriser pendant de longues semaines pour arriver à la découverte de la vérité, à la réhabilitation de mon nom.

Hélas ! quand tout cela sera-t-il fini, quand serai-je de nouveau heureux ?

Enfin, je compte sur vous, cher Maître. Je tremble encore au souvenir de tout ce que j’ai enduré aujourd’hui, à toutes les souffrances qui m’attendent encore.

Soutenez-moi, cher Maître, de votre parole chaude et éloquente ; faites que ce martyre ait une fin, qu’on m’envoie le plus vite possible là-bas où j’attendrai patiemment, en compagnie de ma femme, que l’on fasse la lumière sur cette lugubre affaire et qu’on me rende mon honneur.

Pour le moment, c’est la seule grâce que je sollicite. Si l’on a des doutes, si l’on croit à mon innocence, je ne demande qu’une seule chose pour le moment : c’est de l’air, c’est la société de ma femme.