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APPENDICE

— Voyons, mon capitaine, écoutez : on trouve dans un chiffonnier d’une ambassade un papier annonçant l’envoi de quatre pièces. On soumet le papier à des experts, trois reconnaissent mon écriture, deux déclarent que l’écriture n’est pas de ma main, et c’est là-dessus qu’on me condamne !

À dix-huit ans, j’entrais à l’École Polytechnique, j’avais devant moi un magnifique avenir militaire, 300,000 fr. de fortune et la certitude d’avoir dans l’avenir 50,000 fr. de rentes. Je n’ai jamais été un coureur de filles. Je n’ai jamais touché une carte de ma vie, donc je n’ai pas besoin d’argent. Pourquoi aurais-je trahi ? Pour de l’argent ? Non, alors quoi ?

— Et qu’est-ce que c’était que ces pièces dont on annonçait l’envoi ?

— Une très confidentielle, et trois autres moins importantes.

— Comment le savez-vous ?

— Parce qu’on me l’a dit au procès. Ah ! ce procès à huis clos, comme j’aurais voulu qu’il fût public et qu’il eût lieu au grand jour ! il y aurait eu certainement un revirement d’opinion.

— Lisiez-vous les journaux en prison ?

— Non, aucun ; on m’a bien dit que la presse s’occupait beaucoup de moi, et que certains journaux profitaient de cette accusation ridicule pour se livrer à une campagne antisémite. Je n’ai rien voulu lire.

Puis, raide et comme insensible, il ajoute : À présent, c’est fini. On va m’expédier à la presqu’île Ducos ; dans trois mois, ma femme viendra m’y rejoindre.

— Et, reprit le capitaine Lebrun-Renault, avez-