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LETTRES D’UN INNOCENT

apporter aucune passion, sans y mêler aucune question irritante, aucune question de personnes.

Je ne veux pas te parler encore de mon affection quand ton image chérie, celle de nos enfants se dressent devant nos yeux, et il n’est peut-être pas une minute où elles ne soient là ; je sens mon cœur battre lourdement comme s’il était par trop plein de larmes refoulées.

Et un cri suprême s’élève constamment de mon cœur à toutes les minutes de mes longues journées, de mes longues insomnies ; s’il est un cri suprême qui s’élèvera à mon heure dernière, c’est un appel à tous pour un grand effort de justice et de vérité, pour t’apporter ce concours ardent et dévoué que te doivent tous les hommes de cœur et d’honneur. Cet appel, je l’ai encore fait. Je te l’ai dit, je ne saurais douter qu’il ne soit entendu, je te répèterai donc : courage !

Dans mes dernières lignes, je voudrais maintenant mettre tout mon cœur, tout ce qu’il renferme d’affection pour toi, pour nos enfants, pour tous ; te dire que dans les pires moments de détresse, ce sont ces sentiments qui m’ont sauvé, qui m’ont fait échapper à la tombe à laquelle j’aspirais, pour essayer encore de faire mon devoir.

Je t’embrasse de tout mon cœur, je voudrais te serrer dans mes bras comme je t’aime, et te prier aussi d’embrasser bien tendrement, bien longuement pour moi nos chers et adorés enfants, tes chers parents, tous mes chers frères et sœurs.

Mille baisers encore,

Alfred.
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