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LE CAPITAINE DREYFUS

mais cela me fait du bien, repose mon cœur, détend mes nerfs. Vois-tu, souvent le cœur se crispe de douleur poignante quand je pense à toi, à nos enfants, et je me demande alors ce que j’ai bien pu commettre sur cette terre pour que ceux que j’aime le plus, ceux pour qui je donnerais mon sang goutte à goutte, soient éprouvés par un pareil martyre.

Mais même quand la coupe trop pleine déborde, c’est dans ta chère pensée, dans celle des enfants, pensées qui font vibrer et frémir tout mon être, qui l’exaltent à sa plus haute puissance, que je puise encore la force de me relever, pour jeter le cri d’appel vibrant de l’homme qui pour lui, pour les siens, ne demande depuis si longtemps que de la justice, de la vérité, rien que de la vérité.

Je t’ai d’ailleurs formulé nettement ma volonté que je sais être la tienne, la vôtre et que rien n’a jamais su abattre.

C’est ce sentiment, associé à celui de tous mes devoirs, qui m’a fait vivre, c’est lui aussi qui m’a fait encore demander pour toi, pour tous, tous les concours, un effort plus puissant que jamais de tous dans une simple œuvre de justice et de réparation, en s’élevant au-dessus de toutes les questions de personnes, au-dessus de toutes les passions.

Puis-je encore te parler de toute mon affection ? C’est inutile, n’est-ce pas, car tu la connais, mais ce que je veux te dire encore, c’est que l’autre jour je relisais toutes tes lettres pour passer quelques-unes de ces minutes trop longues auprès d’un cœur aimant et un immense sentiment d’admiration s’élevait en moi pour ta dignité et ton courage. Si l’épreuve des grands malheurs est la pierre de touche