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LE CAPITAINE DREYFUS
Le 4 mai 1897.
Chère et bonne Lucie,

Je viens de recevoir ton courrier de mars, celui de la famille, et c’est toujours avec la même émotion poignante, avec la même douleur que je te lis, que je vous lis tous, tant nos cœurs sont blessés, déchirés par tant de souffrances.

Je t’ai déjà écrit il y a quelques jours en attendant tes chères lettres et je te disais que je ne voulais ni chercher, ni comprendre, ni savoir pourquoi l’on me faisait succomber ainsi sous tous les supplices. Mais si dans la force de ma conscience, dans le sentiment de mon devoir, j’ai pu m’élever ainsi au-dessus de tout, étouffer toujours et encore mon cœur, éteindre toutes les révoltes de mon être, il ne s’ensuit pas que mon cœur n’ait profondément souffert, que tout, hélas ! ne soit en lambeaux.

Mais aussi je t’ai dit qu’il n’entrait jamais un moment de découragement dans mon âme, qu’il n’en doit pas plus entrer dans la tienne, dans les vôtres à tous.

Oui, il est atroce de souffrir ainsi, oui, tout cela est épouvantable et déroute toutes les croyances en ce qui fait la vie noble et belle… ; mais aujourd’hui, il ne saurait y avoir d’autre consolation pour les uns comme pour les autres que la découverte de la vérité, la pleine lumière.

Quelle que soit donc ta douleur, quelles que puissent être vos souffrances à tous, dis-toi qu’il y a un devoir sacré à remplir que rien ne saurait ébranler : ce devoir est de rétablir un nom, dans toute son intégrité, aux yeux de la France entière.