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LETTRES D’UN INNOCENT

lure, il ne doit pas rester un seul Français qui puisse douter de notre honneur ! »

C’est là le but, toujours le même.

Mais, hélas ! si l’on peut être stoïque devant la mort, il est difficile de l’être devant la douleur de chaque jour, devant cette pensée lancinante de se demander quand finira enfin cet horrible cauchemar dans lequel nous vivons depuis si longtemps, si cela peut s’appeler vivre que de souffrir sans répit.

Je vis depuis si longtemps dans l’attente toujours déçue d’un meilleur lendemain, luttant non pas contre les défaillances de la chair — elles me laissent bien indifférent, peut être précisément parce que je suis hanté par d’autres préoccupations — mais contre celles du cerveau, contre celles du cœur. Et alors, dans ces moments de détresse horrible, de douleur presque insupportable, d’autant plus grande qu’elle est plus contenue, plus retenue, je voudrais te crier à travers l’espace : « Ah ! chère Lucie, cours chez ceux qui dirigent les affaires de notre pays, chez ceux qui ont mission de nous défendre, afin qu’ils t’apportent le concours ardent, actif, de tous les moyens dont ils disposent pour faire enfin la lumière sur ce lugubre drame, pour découvrir la vérité, toute la vérité, la seule chose que nous ayons à demander ! »

Voilà donc en quelques mots ce que voudrais, ce que j’ai toujours voulu et que je ne puis croire qu’on ne t’apporte pas : c’est le concours de toutes les forces dont dispose le gouvernement pour aboutir enfin à découvrir la vérité, à faire rendre justice à un soldat qui souffre le martyre et les siens avec lui, afin de mettre le plus tôt possible un terme à une