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LETTRES D’UN INNOCENT

animent pour penser jamais qu’il puisse y avoir un moment de lassitude chez aucun, tant que la vérité ne sera pas découverte.

Donc, tous les cœurs, toutes les énergies vont converger vers le but suprême, courir sus à la bête jusqu’à ce qu’elle soit forcée : l’auteur ou les auteurs de ce crime infâme. Mais, hélas ! comme je te l’ai dit aussi, si ma confiance est absolue, les énergies du cœur, celles du cerveau, ont des limites dans une situation aussi atrocement épouvantable, supportée depuis si longtemps. Je sais aussi ce que tu souffres et c’est horrible.

Or, il n’est pas en ton pouvoir d’abréger mon martyre, le nôtre. Le gouvernement seul possède des moyens d’investigation assez puissants, assez décisifs pour le faire, s’il ne veut pas qu’un Français, qui ne demande à sa patrie que la justice, la pleine lumière, toute la vérité sur ce lugubre drame, qui n’a plus qu’une chose à demander à la vie, voir encore pour ses chers petits le jour où l’honneur leur sera rendu, ne succombe sous une situation aussi écrasante, pour un crime abominable qu’il n’a pas commis.

J’espère donc que le gouvernement aussi t’apportera son concours. Quoiqu’il en soit de moi, je ne puis donc que te répéter de toutes les forces de mon âme d’avoir confiance ; d’être toujours courageuse et forte et t’embrasser de tout mon cœur, de toutes mes forces comme je t’aime, ainsi que nos chers et adorés enfants.

Ton dévoué,

Alfred.
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