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LETTRES D’UN INNOCENT

quement, invinciblement, tout à la fois mère et française.

Je me répète donc, ma chère Lucie : ma confiance, ma foi sont absolues aussi bien dans les efforts des uns que dans ceux des autres ; j’ai l’absolue certitude que la lumière sera faite et cela est l’essentiel, mais dans un avenir que nous ne connaissons pas.

Or, hélas, les énergies du cœur, celles du cerveau, ont aussi des limites dans une situation aussi atroce que la mienne. Je sais aussi ce que tu souffres et c’est épouvantable.

C’est pourquoi souvent, dans des moments de détresse, car on n’agonise pas ainsi lentement, pas à pas, sans jeter des cris d’agonie, n’ayant qu’un souhait à formuler, voir entre nos enfants et toi le jour où l’honneur nous sera rendu, je t’ai demandé de faire des démarches auprès du Gouvernement qui possède des moyens d’investigation sûrs, décisifs, mais que lui seul est en droit d’employer. Quoiqu’il en soit, et je pense t’avoir exposé clairement ma pensée, ma conviction, je ne puis que te répéter de toute mon âme : confiance et foi ! et souhaiter pour toi, comme pour moi, comme pour tous, que les efforts soit des uns, soit des autres aboutissent bientôt et viennent mettre un terme à cet effroyable martyre moral.

Je t’embrasse comme je t’aime, ainsi que nos chers enfants, du plus profond de mon cœur.

Ton dévoué,

Alfred.

Baisers à tous.

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