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LETTRES D’UN INNOCENT

Va trouver M. le Président de la République, les Ministres, ceux mêmes qui m’ont fait condamner, car si les passions, l’emportement, égarent parfois les esprits les plus honnêtes, les plus droits, les cœurs restent toujours généreux et sont prêts à oublier ce même emportement devant cette douleur effroyable d’une épouse, d’une mère, qui ne veut qu’une chose, la seule que nous ayons à demander, la découverte de la vérité, l’honneur de nos chers petits.

Parle simplement, oublie toutes les petites misères, quelle importance ont-elles devant le but à atteindre ? — et je suis sûr que tu trouveras, que vous trouverez tous un concours ardent, généreux, pour sortir le plus tôt possible d’une situation tellement atroce, supportée depuis si longtemps, que je me demande encore comment nos cerveaux à tous ont pu y résister.

Je te parle dans tout mon calme, dans ce grand silence douloureux, il est vrai, mais qui vous élève au-dessus de tout… Agis comme je te le demande… Ne vois qu’une chose, ma chère et bonne Lucie, le but qu’il faut atteindre, la vérité, en faisant appel à tous les dévouements… Oh ! car cela je le voudrais avec toutes les fibres de mon être, voir encore le jour où l’honneur nous sera rendu !

Donc courage, chère Lucie, je te le demande avec tout mon cœur, avec toute mon âme.

Je t’embrasse comme je t’aime, de toute la puissance de mon affection, ainsi que nos chers et adorés enfants.

Ton dévoué,

Alfred.
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