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LETTRES D’UN INNOCENT

qui dirigent les affaires de notre pays. Parle simplement, avec ton cœur, et je suis sûr que tu trouveras des cœurs généreux qui comprendront ce qu’a d’épouvantable ce martyre d’une épouse, d’une mère, et qui mettront tout en œuvre pour t’aider dans cette tache noble et sainte, la découverte de la vérité, l’auteur de ce crime infâme. Oh ! chère Lucie, écoute-moi bien et suis mes conseils ; dis-toi bien qu’il ne faut voir qu’une chose, le but, et chercher à l’atteindre. Car, oh ! cela, je le voudrais de toute mon âme, voir, avant de succomber, l’honneur rendu au nom que portent nos chers adorés, te revoir, toi, nos enfants, heureux, jouissant d’un bonheur que tu mérites tant, ma pauvre et chère Lucie ! Et comme ce papier me paraît froid de ne pouvoir y mettre tout mon cœur, tout ce qu’il contient pour toi, pour nos enfants… Je voudrais écrire avec mon sang, peut-être m’exprimerais-je mieux…

Et quoique je ne puisse plus rien te dire, je continue à causer avec toi, car cette nuit va encore être longue, traversée par d’horribles cauchemars où je te vois, toi, nos enfants, mes chers frères et sœurs, tes chers parents, tous les nôtres enfin. Tu vois, chère Lucie, que je te dis bien tout, que je t’exhale toutes mes souffrances, que je te dis bien toutes mes pensées ; d’ailleurs, en ce moment, je serais bien incapable de faire autrement.

Et ma pensée, nuit et jour, est toujours la même ; le même cri s’exhale toujours de mes lèvres : oh ! tout mon sang, goutte à goutte, pour avoir la vérité sur cet effroyable drame !

Tu pardonneras le décousu de cette lettre ; je t’écris, comme je te le disais, sous le coup d’une