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LETTRES D’UN INNOCENT

cœur, tout mon être, ne voyant que le but. Je t’ai écrit au commencement de juillet une lettre qui a encore dû t’émotionner, ma pauvre Lucie ; j’étais alors en proie aux fièvres ; je ne recevais pas ton courrier ; tout à la fois ! Et alors la bête humaine s’est réveillée pour te jeter ses cris de détresse et de douleur, comme si tu ne souffrais pas déjà assez ; j’ai cependant réagi, tout surmonté, dominé l’être physique comme l’être moral. J’ai su d’ailleurs, depuis, que ton courrier était arrivé sans retard à Cayenne ; par suite d’une erreur de destination, je ne l’ai reçu qu’avec celui de juin.

Je ne puis donc que me répéter, chère Lucie, pour toi, comme pour tous, les yeux invariablement, ardemment fixés sur le but, sans une minute de lassitude jusqu’à ce qu’il soit atteint ! Toute la vérité pour la France entière, tout l’honneur de notre nom, le patrimoine de nos enfants. Embrasse S. et leurs chers enfants pour moi. Dis bien à Mathieu que si je ne lui écris pas plus souvent, c’est que je le connais trop bien, c’est que sa volonté restera toujours aussi inflexible, jusqu’au jour de l’éclatante lumière. Merci des bonnes nouvelles que tu me donnes des chers petits ; remercie tes parents, tous les nôtres, de leurs bonnes lettres. Quant à toi, ma chère Lucie, forte de ta conscience, sois invinciblement énergique et vaillante ; que ma profonde affection, nos enfants, ton devoir, te soutiennent et t’animent.

Je t’embrasse encore comme je t’aime, de toutes mes forces, ainsi que nos chers enfants, en attendant tes bonnes lettres de juillet.

Ton dévoué,

Alfred.
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