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LE CAPITAINE DREYFUS

ne plus souffrir enfin. Il faut alors que je fasse un violent effort de volonté, pour chasser les idées qui me tirent bas, pour ramener ta pensée, celle de nos enfants adorés et pour me redire encore : si atroce que soit ton martyre, il faut que tu puisses mourir tranquille, sachant que tu laisses à tes enfants un nom fier et honoré. Si je te rappelle cela, c’est simplement pour te dire encore quelle volonté je dépense dans une seule journée, parce qu’il s’agit de l’honneur de notre nom, de celui de nos enfants, que cette même volonté devrait vous animer tous.

Je veux te redire aussi ce que je souffre de tes tortures, des vôtres à tous, ce que je souffre pour nos enfants, et qu’alors, à toutes les heures du jour et de la nuit, je te crie à toi et à tous, dans l’emportement de ma douleur extrême : Marchez à la conquête de la vérité, hardiment, en gens honnêtes et crânes, pour qui l’honneur est tout !

Ah ! les moyens, peu m’importe, il faut en trouver quand on sait ce qu’on veut, quand on a le droit et le devoir de le vouloir.

Cette voix, tu dois l’entendre à tous moments, à travers l’espace, elle doit animer ton âme.

Je me répète toujours, chère Lucie ; c’est que ma pensée est une, comme la volonté qui me fait tout endurer.

Je ne suis ni un patient, ni un résigné, dis-toi bien tout cela ; je veux la lumière, la vérité, notre honneur enfin, pour la France entière, avec toutes les fibres de mon être ; et cette volonté suprême doit t’inspirer, à toi comme à tous, tous les courages comme toutes les audaces, pour sortir enfin d’une situation aussi infâme qu’imméritée.