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LE CAPITAINE DREYFUS

dre aussi que les souffrances sont parfois si aiguës, les révoltes si violentes, que les cris de douleur s’exhalent malgré soi, et qu’on voudrait, aux dépens de tout, avoir enfin l’énigme de cette monstrueuse affaire, faire jaillir la vérité, faire triompher la justice.

Des découragements, je n’en ai jamais eu, je n’ai jamais douté qu’une volonté, forte de son innocence et du devoir à remplir, n’atteigne son but. J’ai eu, j’aurai peut être encore des impatiences fébriles, qui sont les révoltes de mon âme ardente depuis si longtemps foulée aux pieds, accrues encore par ce silence sépulcral, ce climat énervant, l’absence souvent de nouvelles, sans rien à faire, parfois sans rien à lire. Mais si ma nervosité a été extrême pendant le dernier trimestre de 95, la période la plus chaude, la plus mauvaise à la Guyane, mon courage n’a jamais faibli, car c’est lui qui m’a soutenu, m’a permis de doubler ce cap redoutable sans fléchir. Ne prête donc aucune attention à cette nervosité qui éclate parfois ; dis-toi que je veux être avec toi, à tes côtés, le jour où l’honneur nous sera rendu.

Ta volonté comme celle de tous doit être ce qu’elle a toujours été, aussi grande, aussi indomptable que calme et réfléchie.

Ma santé est bonne ; mon corps, indifférent à tout, n’est animé que d’une seule pensée, commune à nous tous, commune, comme dit ta chère mère, à tout un faisceau de cœurs qui vibre de douleur, vit pour son honneur, si injustement arraché.

Dis-toi aussi que, si j’ai parfois des moments de faiblesse personnelle, sous les chocs répétés de l’heure présente, j’ai un talisman qui me remonte, qui me