Page:Dreyfus - Lettres d un innocent (1898).djvu/145

Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
LETTRES D’UN INNOCENT

enfin, comme pour nous, il faut que ce drame finisse. Dusses-tu frapper à toutes les portes, il faut avoir l’énigme de cette machination infernale qui nous a enlevé ce qui fait vivre et ce qu’il nous faut : notre honneur.

Quant à nos chers enfants, embrasse-les de tout cœur pour moi. Les quelques mots que Pierre ajoute à chaque lettre me font plaisir. C’est pour toi et pour eux que j’ai eu la force de tout supporter et je veux voir le jour où l’honneur nous sera rendu. Et cela, je le veux fortement, puissamment, avec toute l’énergie d’un homme qui place l’honneur au-dessus de tout. Puisse ce vœu se réaliser bientôt ! Tu dois tout faire pour qu’il s’accomplisse.

Je t’embrasse encore avec toute mon âme.

Ton dévoué,

Alfred.

Embrasse tes chers parents, tous les nôtres pour moi.

————
Le 27 septembre 1895.
Ma chère Lucie,

Depuis près d’un an je lutte avec ma conscience contre la fatalité la plus inexplicable qui puisse s’acharner après un homme.

Parfois, je suis tellement harassé, tellement dégoûté que je suis comme le soldat, qui, épuisé par de longues fatigues, s’étend au revers d’un fossé, préférant en finir là avec la vie.

L’âme me réveille, le devoir m’oblige à me ressaisir ; tout mon être se raidit alors dans un suprême