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LE CAPITAINE DREYFUS

À ce que je ressens, au point où en est mon cœur, je sens trop bien où vous en êtes tous et je vous vois, dans mes longues nuits, souffrir et hurler de douleur avec moi.

Il faut que cela finisse. On ne peut cependant pas, dans notre siècle, laisser ainsi agoniser deux familles sans éclaircir un pareil mystère. La lumière peut être faite quand on voudra bien la faire. Donc, ma chère Lucie, tout en conservant la dignité qui ne doit jamais t’abandonner, sois forte, courageuse et énergique. Grands ou humbles, nous sommes tous égaux quand il s’agit de justice, et cet honneur auquel je n’ai pas forfait, qui est le patrimoine de nos enfants, doit nous être rendu. Je veux être avec toi et avec nos enfants ce jour-là.

Baisers à tous. Je t’embrasse de toutes mes forces ainsi que nos chers enfants.

Ton dévoué,

Alfred.
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le 7 septembre.
(Soir.)

Avant de remettre cette lettre, pour qu’elle parte encore par le bateau anglais, je veux y ajouter quelques mots ; tout mon cœur, mes pensées sont avec toi et avec nos chers enfants.

Je viens de relire tes chères lettres et je n’ai pas besoin de te dire que je les relirai encore souvent jusqu’au prochain courrier. Les journées sont longues, seul, en tête à tête avec soi-même, sans jamais prononcer une parole.

Que mon âme t’inspire, ma chère Lucie, car je sens bien que pour tes chers parents, pour tous