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LE CAPITAINE DREYFUS

Je n’ai rien à changer à ce que je viens de t’écrire. Si épouvantable que soit pour moi la situation morale qui m’est faite, si broyé que soit mon cœur, je resterai debout jusqu’à mon dernier souffle, car je veux mon honneur, le tien, celui de nos enfants.

Mes amis, je n’ai jamais douté d’eux. Ils me connaissent. Mais ce qu’il faut, ce que je veux, c’est la lumière éclatante et telle que personne, dans notre cher pays, puisse douter de mon honneur. C’est tout mon honneur de soldat que je veux. Cette mission, je te la confie, je vous la confie. Tu la mèneras à bien, je n’en ai nul doute.

Je t’embrasse, ainsi que nos chers enfants.

Ton dévoué,

Alfred.
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Le 22 août 1895.
Ma chère Lucie,

Je t’ai écrit deux longues lettres au commencement du mois, le 2 et le 5 août. J’espère que les deux auront pu prendre le bateau anglais.

Il y a donc longtemps que je ne suis venu causer avec toi. Ce n’est pas le désir qui m’en a manqué, tout mon cœur est avec toi. Combien de fois ai-je pris la plume, puis l’ai de nouveau rejetée !

À quoi bon remuer toujours de telles douleurs. En dehors de ta santé, de celle des enfants, comme de celle de tous les nôtres, je n’ai qu’une pensée et elle m’oblige à vivre, celle de notre honneur.

Tu me pardonneras si je t’ai parfois présenté mes idées sous une forme un peu vive. Mais que veux-tu,