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LETTRES D’UN INNOCENT

chaque matin, je me réveille avec un nouvel espoir, et chaque soir, je me couche avec une nouvelle déception.

Je n’ai pas besoin de te dire que nous pouvons parler entre nous de nos douleurs — il faut bien que le trop plein des cœurs s’épanche parfois — mais qu’il faut les garder pour nous. D’ailleurs, je te sais digne et simple. Tes belles qualités que je n’avais fait, pour ainsi dire, qu’entrevoir dans le bonheur, se détachent en pleine lumière dans l’adversité.

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Le 26 juin 1895.

Je termine aujourd’hui ce long bavardage afin de remettre ma lettre. Je voudrais causer ainsi avec toi matin et soir ; mais, outre que je t’écrirais des volumes, les mêmes idées se reproduiraient sous ma plume. Fait pour l’action, j’en suis réduit, dans ma solitude, à revenir toujours au même sujet. La forme seule pourrait varier, suivant l’état du moment, mais l’idée resterait la même, parce qu’elle domine tout.

Embrasse longuement nos chers enfants pour moi. Je suppose que tu ne les garderas pas à Paris pendant les chaleurs. Donne-leur toujours beaucoup d’initiative dans les mouvements ; laisse-les se développer librement et sans contrainte, afin d’en faire des êtres virils. Enfin, puise en eux, tout à la fois, ta consolation et ta force.

Maintenant, je n’ai plus qu’à te dire que je souhaite, que j’espère toujours que ce lugubre drame