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LE CAPITAINE DREYFUS

je te l’ai déjà dit, car les idées qui visent un même sujet se reproduisent forcément, il nous faut notre honneur et nous n’avons pas le droit de faiblir ; mieux vaudrait sans cela voir nos enfants mourir.

Quant à nos souffrances, elles sont égales pour nous tous. Crois-tu que je ne sens pas ce que tu souffres, toi qui es frappée doublement dans ton honneur et dans ton affection ; crois-tu que je ne sens pas ce que souffrent tes parents, frères et sœurs, pour qui l’honneur n’est pas seulement un mot. J’espère d’ailleurs que notre malheur aura un terme et que ce terme est prochain. Jusque-là, il nous faut garder tout notre courage, toute notre énergie.

Remercie Mathieu des quelques mots qu’il m’a écrits. Comme ce pauvre garçon doit souffrir, lui, l’honneur incarné ! Mais dis-lui que je suis avec lui par la pensée, que nos deux cœurs souffrent ensemble. Il y a des moments où il me semble qu’on est le jouet d’un horrible cauchemar, que tout cela n’est pas vrai, que ce n’est qu’un mauvais rêve… mais c’est, hélas, la vérité ! Mais, pour le moment, nous devons écarter de nous toute pensée affaiblissante, les yeux uniquement fixés sur le but : notre honneur. Quand celui-ci me sera rendu et que je connaitrai les termes d’un problème insoluble pour moi, je comprendrai peut-être cette énigme qui déroute ma raison, qui laisse mon cerveau haletant.

J’attends donc ce moment, sûr qu’il viendra, je souhaite pour nous tous qu’il vienne bientôt, je l’espère même, tant est inébranlable ma foi en la justice ; le mystère n’est pas de notre siècle, tout se découvre et doit se découvrir.

Ma journée de dimanche m’a paru moins longue