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LE CAPITAINE DREYFUS

sures de nos cœurs, nous vivrons dans nos enfants auxquels nous consacrerons le restant de nos jours. Nous tâcherons d’en faire des êtres bons, simples, forts physiquement et moralement, nous élèverons leurs âmes pour qu’ils y trouvent toujours un refuge contre les réalités de la vie.

Puisse ce jour arriver bientôt, car nous avons tous payé notre tribut de souffrances sur cette terre !

Courage donc, ma chérie, sois forte et vaillante. Poursuis ton œuvre sans faiblesse, avec dignité, mais avec le sentiment de ton droit. Je vais me coucher, fermer les yeux et penser à toi.

Bonsoir et mille baisers.

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12 mai 1895.

Je continue cette lettre, car je veux te faire part de mes pensées au fur et à mesure qu’elles me viennent à l’esprit. J’ai le temps de réfléchir profondément dans ma solitude.

Vois-tu, les mères qui veillent au chevet de leurs enfants malades et qui les disputent à la mort avec une énergie farouche n’ont pas besoin d’autant de vaillance que toi, car c’est plus que la vie de tes enfants que tu as à défendre, c’est leur honneur. Mais je te sais capable de cette noble tâche.

Aussi, ma chère Lucie, je te demande pardon si j’ai parfois augmenté ton chagrin en exhalant des plaintes, en témoignant d’une impatience fébrile de voir enfin s’éclaircir ce mystère devant lequel ma raison se brise impuissante. Mais tu connais mon tempérament nerveux, mon caractère emporté. Il me