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LETTRES D’UN INNOCENT

pitié, mais seulement qu’on poursuive les recherches à outrance.

Malgré une coïncidence parfois terrible de tourments aussi bien physiques que moraux, je sens bien que mon devoir vis-à-vis de toi, vis-à-vis de nos chers enfants est de résister jusqu’à la limite de mes forces et de protester de mon innocence jusqu’à mon dernier souffle.

Mais s’il y a une justice en ce monde, il me semble impossible, ma raison se refuse à y croire, que nous ne retrouvions le bonheur qui n’aurait jamais dû nous être enlevé.

Je t’écris certes parfois des lettres exaltées, sous l’empire d’impressions nerveuses extrêmes ou de dépression physique considérable ; mais qui n’aurait pas de ces coups de folie, de ces révoltes du cœur et de l’âme, dans une situation aussi tragique, aussi émouvante que la nôtre ? Et si je te dis de te hâter, c’est que je voudrais assister au jour de triomphe de mon innocence reconnue. Et puis, toujours seul, en tête à tête avec moi-même, livré a mes tristes pensées, sans nouvelles de toi, des enfants, de tous ceux qui me sont chers depuis plus de deux mois, à qui confierais-je les souffrances de mon cœur, si ce n’est à toi, confidente de toutes mes pensées ?

Je souffre non seulement pour moi, mais bien plus encore pour toi, pour nos chers enfants. C’est en ces derniers, ma chérie, que tu dois puiser cette force morale, cette énergie surhumaine qui te sont nécessaires pour aboutir à tout prix à ce que notre honneur apparaisse de nouveau, à tous sans exception, ce qu’il a toujours été, pur et sans tache.