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LE CAPITAINE DREYFUS

une question de vie et de mort pour moi comme pour nos enfants.

Je suis incapable de vous écrire à tous, car mon cerveau n’en peut plus et mon désespoir est trop grand. J’ai le système nerveux dans un état déplorable, et il serait grand temps que cet horrible drame prit fin.

Je n’ai plus que l’âme qui surnage.

Mais, pour Dieu, hâtez-vous et travaillez ferme !

Dis à tous de m’écrire.

Embrasse tout le monde pour moi, nos pauvres chéris aussi et pour toi mille tendres baisers de ton dévoué mari

Alfred.

Quand tu auras une bonne nouvelle à m’annoncer envoie moi une dépêche, je l’attends chaque jour comme le Messie.

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Mercredi, 15 mars 1895.
Ma chérie,

Comme je ne remets cette lettre qu’aujourd’hui, je viens encore vite un peu causer avec toi. Je ne parlerai pas de mes épouvantables tortures, tu les connais et tu les partages.

Ma situation reste ici la même qu’auparavant ; dis-toi bien que je suis incapable de la supporter longtemps. Il me semble donc difficile que tu viennes me rejoindre. D’ailleurs, comme je te l’ai dit hier, si tu veux me sauver la vie, tu as mieux à faire : fais-moi rendre mon honneur, l’honneur de mon nom, celui de nos pauvres enfants.