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LETTRES D’UN INNOCENT

Vois-tu, chérie, un homme d’honneur ne saurait vivre sans son honneur. On a beau se dire en soi-même qu’on est innocent, le cœur vous ronge. Les heures sont longues dans la solitude, et mon esprit ne peut encore concevoir tout ce qui m’arrive. Jamais romancier, si riche que soit son imagination, n’aurait pu écrire une histoire plus tragique.

Je suis convaincu comme toi que la vérité se fera jour tôt ou tard. Les bonnes causes triomphent toujours. Mais quel sera alors mon état, c’est ce que je ne saurais dire… Le cœur est là qui, du matin au soir et du soir au matin, souffre et palpite.

J’espère que je pourrai t’embrasser au moins avant mon départ.

Merci des détails que tu me donnes des enfants. Il faut les élever sérieusement et solidement, s’occuper aussi bien du physique que du moral. D’ailleurs, je te connais, je n’ai nulle inquiétude à ce sujet. Je sais que tu en feras des âmes généreuses et belles, ardentes pour tout ce qui est noble et beau, marchant toujours dans la voie du devoir.

Embrasse mille et mille fois ces bons chéris pour moi.

Je te prie aussi d’embrasser tout le monde pour moi. Reçois les baisers les meilleurs de ton mari qui t’aime, qui ne vit qu’avec ta pensée,

Alfred.
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Le 14 février 1895.
Ma chère Lucie,

Les quelques moments que j’ai passés avec toi m’ont été bien doux, quoiqu’il m’ait été impossible de te dire tout ce que j’avais sur le cœur.