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et de désespoir, que, cessant de rire, nous fûmes saisis d’horreur et de pitié. Pendant quelques minutes il lui fut impossible de parler ; il se balançait de droite à gauche et s’arrachait les cheveux comme un homme qui a perdu la raison… Puis soudain, se levant d’un bond, il se jeta la tête contre le mur avec une telle violence que nous dûmes nous précipiter sur lui et le garder de force au milieu de la pièce. Sherlock Holmes le fit asseoir dans un fauteuil, se plaça à côté de lui, et lui frappant dans la main, tâcha de le réconforter avec ce ton enjoué qu’il savait si bien employer.

— Vous êtes venu pour me dire votre histoire, n’est-ce pas ? Vous êtes fatigué par votre course. Attendez que vous vous soyez remis, et alors nous serons trop heureux d’étudier le petit problème que vous nous aurez exposé. »

La poitrine haletante, l’homme luttait encore contre son émotion. Enfin, passant son mouchoir sur son front, il serra les lèvres et nous regarda.

— Vous devez me croire fou ! dit-il.

— Je vois que vous êtes sous le coup de quelque grand malheur, répondit Holmes.

— Ah ! Dieu sait ! — un malheur si soudain et si terrible que c’est à en devenir fou. J’aurais pu supporter un déshonneur public, quoique je sois un homme dont la réputation n’a jamais subi la moindre atteinte. J’aurais pu supporter un malheur de famille, car c’est le lot de tout homme ; mais les deux réunis, et sous une forme aussi terrible ! C’est trop ! Mon cœur en est brisé ! Et puis, je ne suis pas seul en jeu ; les plus grands personnages du royaume peuvent en pâtir, si on ne trouve pas moyen d’arranger cette horrible affaire.

— Remettez-vous, monsieur, dit Holmes, et veuillez me dire exactement qui vous êtes et ce qui vous est arrivé.

— Mon nom, répondit notre hôte, vous est probablement connu. Je suis Alexandre Holder, de la maison de banque Holder et Stevenson, de Thread needle street. »

Le nom m’était en effet connu, pour être celui du principal associé de l’une des plus importantes banques particulières de la Cité. Que pouvait-il donc être arrivé, pour mettre en ce pénible état un des premiers citoyens de Londres ? Notre curiosité était excitée au dernier point. Enfin, notre visiteur fit un nouvel effort et commença ainsi son histoire.

— Je sens que le temps est précieux dit-il, c’est pourquoi je me suis hâté de venir quand l’inspecteur de police ma eu suggéré l’idée d’obtenir votre coopération. J’ai sauté dans le métropolitain et de la gare je suis venu à pied en courant parce que les fiacres ne vont pas vite par cette neige. Voilà pourquoi je suis si essoufflé, car je n’ai pas l’habitude de faire beaucoup d’exercice. Je me sens mieux maintenant, et je vais vous exposer les faits succinctement, mais aussi clairement que possible.

« Vous savez, naturellement, que pour réussir en matière de banque, il est aussi important de trouver de bons placements pour nos fonds, que d’augmenter nos relations et notre clientèle de déposants. Un des placements les plus lucratifs est le prêt d’argent contre une garantie sûre. Nous avons fait beaucoup de prêts de ce genre pendant ces dernières années, et il y a beaucoup de nobles familles à qui nous avons avancé de grosses sommes contre le dépôt de leurs tableaux, de leur bibliothèque, ou de leur vaisselle plate.

« Hier matin, j’étais dans mon cabinet à la Banque, quand on m’apporta une carte de visite. Je bondis en lisant le nom, car c’était celui… mais, même vis-à-vis de vous, il faut être discret et je me contenterai de vous dire que c’était un nom universellement connu, un des premiers d’Angleterre. Étourdi par cet honneur, je balbutiai quelques mots à mon visiteur lorsqu’il parut, mais lui entra immédiatement en matière de l’air d’un homme qui veut en finir le plus vite possible avec une affaire désagréable.

« — Monsieur Holder, dit-il, on m’a dit que vous faisiez des avances d’argent ?

« — La maison y consent quand la garantie est bonne.

« — J’ai absolument besoin d’avoir cinquante mille livres tout de suite. Je pourrais évidemment en emprunter dix fois autant à mes amis, mais je préfère de