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fréquemment chez un célibataire que chez un homme qui vit au sein de sa famille.

« — Si je donne ma parole de garder le secret, dis-je, vous pouvez absolument compter sur moi. »

Il me regarda fixement pendant que je parlais, et je crois n’avoir jamais vu un œil aussi méfiant et inquisiteur.

« — Vous promettez, alors ? dit-il enfin.

« — Oui, je promets.

« — Silence absolu et complet, avant, pendant et après ? Aucune allusion à la chose, ni par un mot, ni par un écrit ?

« — Très bien. »

Il se leva brusquement, traversa la chambre comme un éclair, et ouvrit la porte. Le corridor était désert.

« — C’est parfait, dit-il en revenant. Je sais que les commis sont souvent curieux des affaires de leurs patrons. Maintenant, nous pouvons causer en sûreté. »

Il approcha sa chaise tout contre la mienne, et recommença à m’examiner du même regard interrogateur et réfléchi. Je sentis tout à coup un sentiment de répulsion et même de terreur en présence des manières étranges de cet homme décharné. La crainte même, de perdre un client ne put m’empêcher de témoigner mon impatience.

« — Veuillez m’expliquer votre affaire, monsieur, dis-je ; mon temps est précieux. »

Que le ciel me pardonne cette dernière phrase, qui n’était qu’un vulgaire mensonge ; je ne pus l’arrêter sur mes lèvres.

« — Accepteriez-vous cinquante guinées, pour une nuit de travail ?

« — Parfaitement.

« — Je dis une nuit de travail, je devrais dire une heure. Il me faut simplement votre avis sur une presse hydraulique qui marche mal. Si vous nous faites voir par où elle cloche, nous pourrons nous-mêmes la réparer. Que pensez-vous d’un travail de ce genre ?

« — Le travail paraît facile et le salaire superbe.

« — C’est ce qui me semble. Pouvez-vous venir ce soir par le dernier train ?

« — Où ?

« — À Eyford, dans le Berkshire. C’est un petit endroit situé sur la limite de l’Oxfordshire, et à environ sept milles de Reading. Il y a à Paddington un train qui vous y amènera à onze heures quinze environ.

« — Très bien.

« — Je viendrai vous chercher avec une voiture.

« — Ah ! c’est assez loin de la gare, alors ?

« — Oui, notre petit trou est tout à fait dans la campagne. C’est à sept bons milles de la station d’Eyford.

« — Nous n’y arriverons donc pas avant minuit, et je suppose que je ne trouverai pas de train pour me ramener ici. Il faudra que je passe la nuit là-bas ?

« — Oui, nous vous logerons facilement.

« — C’est bien ennuyeux. Ne pourrais-je venir à une heure plus pratique ?

« — Non, et c’est précisément pour vous dédommager de ce dérangement nocturne que nous vous donnons à vous, homme jeune et inconnu, des honoraires égaux à ceux que pourrait demander une des célébrités de votre profession. Cependant si vous préférez renoncer à l’affaire, naturellement, il n’y a rien de fait. »

Je pensai aux cinquante guinées qui tombaient si à point.

« — Pas du tout, dis-je, je serai très heureux de me conformer à vos désirs. Je voudrais cependant comprendre un peu plus clairement ce que vous me demandez.

« — Évidemment. Il est tout naturel que l’engagement que nous avons obtenu de vous ait excité votre curiosité. Je veux que vous agissiez en pleine connaissance de cause. Êtes-vous bien sûr que personne n’écoute ?

« — Absolument sûr.

« — Eh bien ! voici. Vous n’ignorez sans doute pas que la terre à foulon est un produit de valeur et qu’on n’en trouve en Angleterre que sur un ou deux points.

« — En effet.

« — Il y a quelque temps j’ai acheté une petite terre, très peu importante, à dix milles environ de Reading et j’ai eu la chance de découvrir un gisement de terre à foulon dans un de mes champs. Après examen, je constatai que ce gisement se continuait chez nos voisins de droite et de gauche, et se trouvait être chez eux beaucoup plus important que chez moi. Ces braves gens ignoraient absolument