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sa poche. Hallo ! voici un objet intéressant ! »

Et il montrait un petit fouet de chasse, pendu auprès du lit. La mèche, cependant, en était nouée, de façon à former un nœud coulant.

— Qu’est-ce que vous pensez de cela, Watson ?

— C’est un fouet, comme tous les fouets. Seulement je ne sais pas pourquoi la mèche est nouée ainsi.

— Cela n’est déjà pas ordinaire, il me semble ? Ah ! mes pauvres amis, le monde est bien vilain, et quand un homme met son intelligence au service du crime, on peut s’attendre aux pires infamies. Je crois que j’en ai vu assez, miss Stoner, et avec votre permission nous allons maintenant sortir devant la maison.

Je n’avais jamais vu le front de mon ami aussi soucieux qu’au moment où nous quittâmes avec lui son champ d’investigations. Nous avions, miss Stoner et moi, arpenté plusieurs fois la pelouse sans oser interrompre ses réflexions, lorsqu’il rompit lui-même le silence :

— Il est essentiel, miss Stoner, dit-il, que vous suiviez exactement mes instructions jusque dans les plus petits détails.

— Je n’y manquerai certainement pas.

— La chose est trop grave pour que vous hésitiez. Votre vie est en jeu.

— Je me fie entièrement à vous.

— D’abord, mon ami et moi, nous devons passer la nuit dans votre chambre.

La stupéfaction de miss Stoner égala la mienne.

— Oui, il le faut. Je vais vous dire pourquoi.

» C’est bien l’auberge du village qu’on voit la-bas ?

— Oui, l’auberge de la Couronne.

— Très bien. On doit voir vos fenêtres de là-Las ?

— Sûrement.

— Vous vous enfermerez chez vous, sous prétexte de migraine, quand votre beau-père rentrera. Puis quand il sera retiré dans sa chambre pour la nuit, vous ouvrirez les volets, vous pousserez votre fenêtre sans mettre le crochet ; vous placerez votre lampe derrière afin qu’elle nous serve de signal, et vous vous retirerez dans votre ancienne chambre, avec tout ce dont vous pourrez avoir besoin pour vous coucher. Je ne doute pas que, malgré les travaux, vous ne puissiez vous y installer pour une nuit.

— Oh ! oui, facilement.

— Le reste nous regarde.

— Mais qu’allez-vous faire ?

— Nous passerons la nuit dans votre chambre pour découvrir la cause du bruit qui vous a tant effrayée.

— Je crois, monsieur Holmes, que vous êtes déjà fixé, dit Miss Stoner en lui posant la main sur le bras.

— Peut-être.

— Alors, au nom du ciel, dites-moi quelle a été la cause de la mort de ma sœur.

— Je préfère avoir des preuves plus sûres avant de parler.

— Vous pouvez au moins me dire si j’ai raison de croire qu’elle est morte de frayeur.

— Je ne le pense pas et je crois à une cause plus tangible. Maintenant, miss Stoner, il faut que nous vous quittions car si le docteur Roylott revenait et nous trouvait ici, notre coup serait manqué. Au revoir, et soyez courageuse, car si vous faites ce que je vous ai dit, vous ne courrez bientôt plus aucun danger. »

Nous trouvâmes facilement, Sherlock Holmes et moi, deux chambres à l’auberge de la Couronne. Elles étaient au premier étage et de nos fenêtres nous apercevions la grille d’entrée, et l’aile habitée du manoir de Stoke Moran. À la tombée de la nuit nous vîmes passer en voiture le docteur Crimesby Roylott ; il écrasait à l’œil par sa forte corpulence le groom aux frêles dimensions qui conduisait. Le gamin eut quelque difficulté à ouvrir les lourdes grilles ; cela impatienta le docteur, il le manifesta par des éclats de voix qui parvinrent jusqu’à nous et qu’il accompagna de gestes menaçants.

Quelques minutes après que la voiture fut entrée dans le parc, une lumière qui nous apparut entre les arbres nous prouva que le propriétaire du vieux manoir était installé dans un des salons.