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58        NOUVELLES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES

Londres, cœur de la civilisation, nous étions forcés de nous incliner devant les forces de la nature et de les subir. Vers le soir la tempête sembla redoubler : le vent dans la cheminée produisait un bruit semblable aux cris et aux sanglots d’un enfant. Sherlock Holmes était tristement assis devant l’âtre, compulsant ses dossiers, tandis qu’en face de lui j’étais plongé dans la lecture d’un pathétique récit maritime de Clark Russell. Ma femme était allée passer quelques jours chez sa tante et j’étais revenu habiter provisoirement mon ancien quartier de Baker street.

— Tiens, dis-je, en levant les yeux sur mon compagnon, on vient de sonner ! Qui donc peut venir ce soir ? Un de vos amis sans doute.

— En dehors de vous, je n’ai pas d’amis, me répondit Holmes ; d’ailleurs je fais mauvais accueil aux visiteurs.

— Un client ? peut-être.

— Alors, le cas doit être bien grave pour qu’un homme se dérange par ce temps affreux et à cette heure. Je crois plutôt que c’est quelque ami de la propriétaire.

Sherlock Holmes se trompait, car au même moment nous entendîmes un bruit de pas dans le couloir et un coup à la porte.

— Entrez, dit Holmes en étendant le bras pour rapprocher la lampe du fauteuil destiné au nouveau venu.

Le visiteur était un jeune homme d’environ vingt-deux ans, bien mis, élégant, plutôt fin et distingué de tournure. Son parapluie ruisselant d’eau et son caoutchouc ne laissaient aucun doute sur la tempête qui sévissait au dehors. Il regarda autour de lui avec anxiété ; ses yeux et sa pâleur révélaient une violente émotion.

— Je vous fais d’abord mes excuses, dit-il, en assujettissant son pince-nez, j’espère que je ne vous dérange pas et je regrette d’apporter dans votre confortable home des traces d’eau et de boue.

— Donnez-moi votre manteau et votre parapluie, dit Holmes ; je vais les accrocher et les faire sécher. Je suppose que vous venez du sud-ouest.

— Oui ; de Horsham.

— L’argile et la craie qui recouvrent vos chaussures sont bien significatives pour moi.

— Je suis venu pour vous consulter.

— Je vous donnerai volontiers mon avis.

— Et pour chercher du secours auprès de vous.

— Ceci est moins facile.

— Je vous connais de réputation, monsieur Holmes ; je sais comment vous avez sauvé le major Prendergast dans l’affaire scandaleuse du Club Tankerville.

— Ah ! oui ; on l’accusait injustement d’avoir triché au jeu.

— Le major m’a affirmé que vous étiez capable de résoudre les cas les plus difficiles.

— Il s’est peut-être beaucoup avancé.

— Qu’on ne vous avait jamais pris en défaut.

— Pardon, j’ai été mis dedans quatre fois : trois fois par des hommes ; une fois par une femme.

— Qu’est-ce que cela en comparaison de tous vos succès ?

— Le fait est que j’ai été généralement assez heureux.

— J’espère que vous aurez la même chance avec moi.

— Faites-moi le plaisir d’abord d’approcher votre chaise du feu et de m’exposer votre affaire.

— C’est un cas peu ordinaire.

— Toutes les causes que l’on me soumet sont du même genre ; on vient à moi en dernier ressort.

— Eh bien ! monsieur, je ne crois pas que vous ayez jamais vu une série d’événements plus mystérieux et plus bizarres que ceux qui se sont passés dans ma famille !

— Vous excitez ma curiosité, dit Holmes, je vous en prie, racontez-moi d’abord les principaux faits, et je vous poserai ensuite des questions sur les détails qui me paraîtront avoir de l’importance.

Le jeune homme avança sa chaise et chauffa ses pieds à la flamme du foyer.

— Mon nom est John Openshaw, mais ma propre histoire a peu de rapport avec cette horrible affaire. C’est un cas