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LE MYSTÈRE DE LA VALLÉE DE BOSCOMBE          47

aussi délicate que celle-là et je n’ai pas voulu l’entreprendre, lorsque je me sentais encore fatigué par le voyage. J’ai vu le jeune Mac Carthy.

— Et qu’avez-vous appris de lui ?

— Rien.

— N’a-t-il pas pu jeter un peu de lumière sur cette affaire ?

— Absolument aucune. J’avais cru un moment qu’il connaissait l’auteur du crime et qu’il le cachait, mais je suis convaincu, maintenant, qu’il est aussi intrigué que le public. Il n’a aucune vivacité d’intelligence, mais il est d’extérieur agréable et brave garçon, je crois.

— Je ne puis approuver son goût, dis-je, s’il est vrai qu’il se refuse à épouser une jeune fille aussi charmante que miss Turner.

— Ah ! ceci cache une fâcheuse histoire. Ce garçon est follement épris d’elle ; mais il y a environ deux ans, alors qu’il n’était encore qu’un gamin et que miss Turner était devenue presque une inconnue pour lui, puisqu’elle venait de passer cinq années en pension, imaginez que cet idiot a eu la bêtise de se laisser circonvenir à Bristol par la fille de comptoir d’un cabaret, et qu’il l’a épousée dans un bureau de placement. Personne n’en sait rien, vous pensez cependant combien il rageait lorsqu’on lui reprochait de refuser une union qu’il désirait si ardemment mais qu’il savait être absolument impossible. C’était donc par dépit qu’il levait les bras au ciel lorsque son père, à leur dernière entrevue, le poussait à faire sa demande à miss Turner. D’un autre côté il n’avait aucune ressource personnelle et son père, qui était certainement un homme très rigide, se serait complètement désintéressé de lui s’il avait connu la vérité. C’était avec sa femme, la fille de comptoir, qu’il avait passé les trois derniers jours à Bristol et son père n’en avait pas le moindre soupçon. Notez bien ce détail, c’est important. Cependant tout cela a bien tourné, car la femme en question ayant vu dans les journaux que M. Mac Carthy était impliqué dans une affaire criminelle et qu’il serait probablement pendu, a voulu se débarrasser de lui et lui a écrit pour lui annoncer qu’elle avait déjà, avant de l’épouser, un mari à l’arsenal de marine des Bermudes ; il en résulte que ce second mariage n’existe pas. Je crois que cette nouvelle a payé le jeune Mac Carthy de toutes ses épreuves.

— Mais s’il est innocent, quel est le coupable ?

— Ah ! quel est-il ? Voilà la question. J’appellerai très particulièrement votre attention sur deux points. Le premier est que la victime avait un rendez-vous avec quelqu’un à l’étang et que ce quelqu’un ne pouvait être son fils puisque ce dernier était absent et que le père ignorait le moment de son retour. Le second point est qu’on a entendu la victime crier « Couhi » avant qu’elle n’ait su que son fils était revenu. Voilà les points fondamentaux sur lesquels repose l’affaire. Et maintenant, parlons de Georges Meredith, s’il vous plaît, et laissons de côté jusqu’à demain toutes les affaires secondaires.

Comme l’avait prédit Holmes, il ne plut pas, et le soleil, à son lever, éclaira un ciel sans nuage. À neuf heures, Lestrade vint nous prendre en voiture et nous partîmes pour Hatherley Farm et l’étang de Boscombe.

— Il y a du nouveau, ce matin, dit Lestrade. On raconte que M. Turner est si malade qu’il n’y a plus d’espoir de le sauver.

— C’est un homme âgé, je suppose, objecta Holmes.

— Environ soixante ans, mais sa constitution a été ébranlée par son séjour dans les colonies et sa santé décline depuis quelque temps. Cette affaire l’a très vivement impressionné. C’était un vieil ami de M. Mac Carthy et je puis même ajouter un bienfaiteur, car je viens d’apprendre qu’il n’exigeait pas de fermage pour la location de Hatherley Farm.

— Vrai ! c’est intéressant, dit Holmes.

— Oh ! oui, et il lui est venu en aide de cent autres manières. Tout le monde ici connaît les bontés qu’il a eues pour lui.

— Réellement ? Ne vous semble-t-il pas un peu singulier que ce M. Mac Carthy