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24        NOUVELLES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES

Voici en première page l’article de tête : « Cruauté d’un mari envers sa femme. »

Le récit tient toute une colonne, mais j’en sais d’avance la teneur. Il y a, bien entendu, une histoire de femme, un ivrogne, une rixe, des coups et des blessures, une sœur ou une propriétaire compatissante. L’auteur le plus réaliste n’inventerait rien de plus cru.

— Vraiment ! eh bien ! cet exemple n’est pas fait pour appuyer votre thèse, dit Holmes, en prenant le journal et en le parcourant d’un coup d’œil. C’est l’affaire de la séparation des Dundas et j’ai même été employé à éclaircir les faits qui s’y rattachent. Le mari faisait partie d’une société de tempérance, aucune femme n’était mêlée à l’affaire ; le plus grand grief qu’on eût contre lui était sa manie d’enlever son râtelier après chaque repas et de le jeter à la figure de sa femme. Vous admettrez qu’il ne viendrait à l’idée d’aucun romancier d’inventer pareille accusation. Prisez donc un peu, docteur, et avouez que vous êtes battu.

Il me tendit sa tabatière, un vrai bijou ancien en or dont le centre était une magnifique améthyste. Cet objet d’art contrastait tellement avec les habitudes de simplicité et la vie austère de mon ami que je ne pus éviter une allusion à ce sujet.

— Ah ! j’oubliais, me dit-il, que j’ai passé plusieurs semaines sans vous voir. Ceci est un petit souvenir du roi de Bohême en reconnaissance de mon heureux concours dans l’affaire des papiers d’Irène Adler.

— Et cette bague ? ajoutai-je, en désignant un très beau diamant qui brillait à son doigt.

— C’est un présent de la maison régnante de Hollande, mais les circonstances très délicates auxquelles j’ai été mêlé me font un devoir d’être d’une discrétion absolue, même vis-à-vis de vous, qui avez bien voulu mettre en lumière plusieurs de mes succès.

— Et travaillez-vous en ce moment, demandai-je avec curiosité ?

— J’ai environ dix ou douze affaires à étudier, sur lesquelles je n’en trouve pas une vraiment intéressante. Comprenez bien : elles sont sérieuses sans offrir la moindre originalité. J’ai remarqué que les faits les plus insignifiants fournissaient parfois ample matière à l’observation et à cette rapide analyse de la cause et de l’effet qui rend toute recherche si passionnante. Les plus grands crimes sont souvent les plus simples parce que le motif en est très clair.

Les causes que j’étudie en ce moment ne présentent aucun intérêt, à l’exception cependant d’une seule plus embrouillée que les autres et au sujet de laquelle j’ai été consulté de Marseille. Mais je vais être sans doute plus occupé dans quelques instants car, si je ne me trompe, voici un de mes clients.

Il s’était levé, et, par la fenêtre dont les volets étaient entr’ouverts, il observait ce qui se passait dans la rue sombre, grise, mélancolique, comme toutes les rues de Londres. Je jetai un coup d’œil par-dessus son épaule et je vis sur le trottoir opposé une grande et forte femme qui portait autour du cou un gros boa de fourrure. Son chapeau à larges bords coquettement relevés, dans le style duchesse de Devonshire, était orné d’une énorme plume qui retombait sur l’oreille. Je remarquai que son œil, à demi-dissimulé par cette coiffure monumentale, était fixé sur nos fenêtres et que ses doigts machinalement occupés à déboutonner et à reboutonner ses gants dénotaient une nervosité extraordinaire. Soudain elle se redressa, et, bondissant d’un trottoir à l’autre, se précipita sur la sonnette qu’elle agita violemment.

— Je connais ces symptômes, dit Holmes, en jetant sa cigarette dans le feu. Cette hésitation est toujours le signe d’une « affaire de cœur ». Elle voudrait un conseil mais trouve le sujet bien délicat pour le révéler à un tiers. Et cependant, là encore, il y a des nuances. Une femme gravement trompée par un homme n’hésite jamais ; elle se pend au cordon de sonnette et le casse. Ici le cœur est blessé, la jeune personne est plus perplexe et peinée que courroucée. Mais la voici, elle va nous mettre au courant.

Il n’avait pas achevé sa phrase qu’on