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[Illustration de G. da Fonseca]

UN CAS D’IDENTITÉ


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Nous étions, Sherlock Holmes et moi, assis près de la cheminée, en face l’un de l’autre, dans l’appartement bien connu de Baker Sreet, lorsque, rompant le silence, il me lança cette phrase empreinte de philosophie :

— La vie a de ces bizarreries que l’esprit le plus inventif ne saurait concevoir et qui ne sont cependant que de la monnaie courante dans notre existence. Si, ouvrant la fenêtre, nous pouvions nous envoler tous deux, planer sur cette grande cité, et soulever secrètement les toitures pour jeter un coup d’œil sur les événements étranges qui s’y passent, que de surprises nous attendraient ! Tous les romans avec leur convenu, leurs conclusions prévues d’avance, nous paraîtraient fades et surannés à côté des singulières coïncidences, des sombres projets, des systèmes contradictoires, en un mot, de l’étonnante série de faits qui se succèdent, à travers les âges, pour aboutir aux résultats les plus invraisemblables !

— Je ne suis pas de votre avis, répondis-je. Les causes judiciaires dont nous lisons le compte rendu dans les journaux sont généralement vulgaires et dénuées d’intérêt ; le réalisme y est poussé jusqu’à ses dernières limites, et le dénouement n’est rien moins qu’artistique et séduisant.

— Il y a, même dans le réalisme, un choix à faire, remarqua Holmes ; c’est ce qui manque dans les rapports de police où l’on attache plus d’importance aux paroles du magistrat qu’aux détails qui, pour un observateur, sont l’essence même de l’affaire. Croyez-moi, il n’y a rien de moins simple que le lieu commun.

Je secouai la tête d’un air d’incrédulité.

— Je comprends parfaitement notre divergence d’opinion. Vous êtes le conseiller amateur, le recours suprême de tous les désespérés des trois continents ; vous vous trouvez donc tout naturellement en présence de ce qui peut se rencontrer de plus bizarre, de plus étrange au monde. Mais essayons d’une épreuve, ajoutai-je, en jetant les yeux sur le journal du matin qui avait glissé par terre.