Page:Doyle - Le Monde perdu.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous êtes un fourbe éhonté, un de ces misérables dont l’ignorance n’a d’égale que l’impudence !

Il s’était dressé d’un bond, les yeux hors de la tête. Même à cette minute critique, j’eus le temps de remarquer, à ma grande surprise, que, debout, il m’arrivait juste aux épaules, et que, bâti très court, arrêté dans sa croissance d’hercule, il avait développé en largeur, en épaisseur, en volume cérébral, son effroyable vitalité.

— Ce que je vous débitais là, monsieur, cria-t-il, penché en avant, le cou tendu, les mains à plat sur la table, c’était du charabia, simplement, du pur charabia scientifique ! Ainsi, vous qui avez de la cervelle gros comme une noisette, vous pensiez lutter de finesse avec moi ? Vous prétendez à l’omnipotence, grimaud que vous êtes ? Sans doute nous devons tous plier l’échine devant vous dans l’espoir d’un mot favorable ? À celui-ci vous ferez la courte échelle ? À cet autre vous donnerez les étrivières ? Savez-vous qu’il y eut un temps où l’on vous coupait les oreilles ? Parbleu, vermine, je vous connais bien ! Vous avez perdu le sentiment de votre indignité ; mais je me charge de vous le rendre. Je vous dégonflerai, ballon gonflé de vent ! Non, monsieur, on ne se joue pas de George-Édouard Challenger ! Ce n’est pas à lui qu’on en remontre ! Je vous avais averti : du moment que vous teniez à venir, c’était à vos risques et périls. Vous jouiez un jeu dangereux, vous avez perdu. Tant pis pour vous, mon cher monsieur Malone. Payez, maintenant !

— Pardon, monsieur, dis-je, reculant vers la porte et l’ouvrant, injuriez-moi tant qu’il vous plaira, je vous y autorise. Mais tout a des limites, et vous ne me toucherez pas.

— Croyez-vous ?

Il s’avançait à pas comptés, d’un air de menace ; mais alors il s’arrêta, et fourrant ses grosses pattes dans les poches de son petit veston :

— J’ai déjà eu l’occasion de jeter dehors quelques journalistes. Vous serez le quatorzième ou le quinzième. Trois livres quinze shillings d’amende, c’est le tarif ordinaire. Un peu cher, mais indispensable. Et pourquoi, monsieur, ne suivriez-vous pas vos confrères ? Vous l’avez, il me semble, bien mérité ! (À suivre.)

A. Conan Doyle.
Traduit de l’anglais par Louis Labat.