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— Tout juste. »

Il soupira.

« Croyez-moi, docteur Hardacre, il fut un temps où j’aurais parlé comme vous faites. La solidité de mes nerfs était proverbiale dans l’Inde. La Révolte même ne les ébranla pas un instant. Et vous voyez où j’en suis : pas d’homme plus craintif que moi, peut-être, dans tout le comté de Wiltshire. En ces matières, gardez-vous de trop d’assurance, où vous pourriez vous trouver soumis à une aussi longue épreuve que celle que j’endure, une épreuve qui ne finira que par la maison de santé ou la tombe. »

J’attendis patiemment qu’il crût à propos d’aller plus avant dans ses confidences. Ai-je besoin de dire que son préambule avait piqué au vif ma curiosité ?

« Depuis quelques années, ma femme et moi traînons une vie misérable à cause d’un fait si extravagant qu’il frise le ridicule. L’habitude même ne nous l’a pas rendu tolérable ; au contraire, plus le temps passe et plus je sens mes nerfs, sous l’effet d’une action constante, s’user et se détraquer. Si vous ignorez la crainte physique, docteur Hardacre, j’apprécierais vivement votre opinion sur le phénomène qui nous bouleverse.

— Vaille que vaille, mon opinion est entièrement à votre service. Puis-je vous demander la nature du phénomène ?

— Je crois que votre expérience aurait une plus haute valeur démonstrative si je m’abstenais de vous dire à l’avance ce que vous allez affronter. Vous savez par vous-même quel travail inconscient du cerveau, quelles impressions subjectives un sceptique scientifique serait en droit d’invoquer contre votre témoignage. Autant vous mettre tout de suite en garde.

— Que faut-il que je fasse ?

— Je vais vous le dire. Voulez-vous prendre la peine de me suivre ? »

Nous sortîmes de la salle à manger ; et par un long couloir il me conduisit jusqu’à une porte ouvrant sur une grande chambre nue, aménagée en laboratoire, avec beaucoup d’instruments et de flacons. Sur l’un des côtés courait une étagère où s’alignaient en grand nombre des bocaux renfermant des pièces d’anatomie pathologique.

« Vous voyez que je n’ai pas tout à fait abandonné mes études, dit sir Dominick. Ces bocaux sont tout ce qui me reste d’une très belle collection dont je perdis malheureusement la plus grande partie dans l’incendie qui détruisit ma maison de Bombay en 1892. Ce fut pour moi, sous bien des rapports, une triste affaire. J’avais des pièces très rares ; ma collection splénique notamment était superbe. Voilà ce qui en a survécu. »

Je donnai un coup d’œil aux pièces de la collection, et vis qu’en effet elles étaient rares et d’un très grand intérêt pathologique : organes tuméfiés, kystes béants, os déformés, parasites hideux singulière exhibition des produits de l’Inde !

« Vous le voyez, il y a ici un petit canapé, dit mon oncle. Nous n’avions, certes, aucune intention de traiter aussi médiocrement un hôte ; mais puisque les choses ont pris le tour que vous savez, il serait tout à fait aimable à vous de consentir à passer la nuit dans cette chambre. Je vous en prie, n’hésitez pas à me dire si l’idée vous répugne le moins du monde.

— Au contraire, dis-je, je la trouve on ne peut plus acceptable.

— Ma chambre est la deuxième à gauche ; de sorte que si vous veniez à avoir besoin de compagnie, je serais près de vous au premier appel.

— J’espère bien n’avoir pas à vous déranger.

— Il est peu probable que je dorme. Je ne dors guère. N’hésitez pas à m’appeler. »

Et nous allâmes rejoindre lady Holden au salon, où nous causâmes de choses moins sévères.

Il n’y avait de ma part aucune affectation à dire que la perspective d’une aventure nocturne n’était pas pour me déplaire. Non plus qu’un autre je ne prétends au courage physique mais certains sujets perdent, à un commerce familier ce pouvoir de terreur vague et indéfinie si fort sur l’imagination humaine. Le cerveau n’est pas capable de deux émotions violentes simultanées : quand c’est la curiosité qui l’emplit, ou l’enthousiasme scientifique, il n’y a plus de place en lui pour la crainte. Sans doute, mon oncle assurait qu’à l’origine il avait pensé de même ; mais je réfléchissais que l’ébranlement de son système nerveux devait avoir pour cause, autant que ses quelques expériences psychiques, les quarante années de son séjour