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— Moi, je ne suis rien. Fils d’un millionnaire, je suis la créature du monde la plus démunie de ressources. On m’a élevé dans l’espoir d’une fortune ; et je n’ai ni argent ni profession. Par surcroît, je reste avec cette grande maison sur les bras, sans aucun moyen de l’entretenir. Il est aussi absurde pour moi d’en faire mon domicile que, pour un marchand des quatre saisons, d’atteler un pur-sang à sa baladeuse : mieux lui vaudrait un âne, et à moi une chaumière.

— Pourquoi ne pas vendre la maison ?

— Je n’en ai pas le droit.

— La louer, du moins ?

— Pas davantage. »

Voyant, à mon air, combien il m’intriguait, le jeune homme sourit.

« Je m’explique, dit-il, si toutefois cela ne vous ennuie pas.

— Au contraire, cela m’intéresse énormément.

— Après vos aimables attentions pour moi, je vous dois bien, il me semble, de satisfaire votre curiosité. Sachez d’abord que mon père était Stanislas Stanniford, le banquier. »

Stanniford le banquier ? Le nom me revint tout de suite. La fuite de Stanniford quelques années auparavant avait fait scandale.

« Je vois que vous vous rappelez, continua le jeune homme. Mon pauvre père quitta le pays à cause des nombreux amis dont il avait engagé les fonds dans une opération malheureuse. C’était un homme nerveux et impressionnable : la conscience de sa responsabilité lui fit perdre la tête. Il n’avait, aux yeux de la loi, commis aucune faute. Ce fut, pour lui, simple question sentimentale. Il ne voulut même plus se trouver en face de sa famille ; et quand il partit pour l’étranger, où il devait mourir, il ne nous fit seulement pas connaître le lieu de son refuge.

— Il est donc mort ? m’écriai-je.

— Sans avoir jamais la preuve de son décès, nous en eûmes la certitude, par le fait que, les valeurs sur lesquelles il avait spéculé s’étant relevées, rien ne justifiait désormais son refus de paraître, et, vivant, il n’eût pas manqué de revenir. Il sera mort, je suppose, au cours des deux dernières années.

— Pourquoi des deux dernières ?

— Parce qu’il y a deux ans nous eûmes de ses nouvelles.

— Et il ne vous disait pas où il vivait ?

— La lettre venait de Paris, mais n’indiquait aucune adresse. C’était à la mort de ma pauvre mère. Il m’écrivait pour me donner quelques instructions et quelques conseils. Depuis, nous n’entendîmes plus parler de lui.

— Avait-il donné signe de vie auparavant ?

— Oui ; et c’est où commence le mystère de cette porte scellée, qui vous a arrêté tout à l’heure. Veuillez, je vous prie, m’avancer ce pupitre. J’y garde les lettres de mon père. En dehors de Mr. Perceval, personne que vous ne les aura vues.

— Puis-je vous demander qui est Mr. Perceval ?

— C’était l’homme de confiance de mon père. Il resta l’ami et le conseiller de ma mère : il reste mon guide et mon ami. Je ne sais pas ce que nous aurions fait sans Perceval. Lui seul connaît ces lettres. Voici la première : elle arriva le jour même de la disparition de mon père, il y a sept ans. Lisez-la vous-même. »

Je lus ce qui suit :

« Ma très chère femme,

« Sir William m’ayant dit combien vous aviez le cœur faible, et le mal que pouvait vous causer la moindre émotion, je ne vous ai jamais parlé de mes affaires. Aujourd’hui, quoi qu’il doive arriver, je ne saurais plus vous cacher qu’elles ont pris une fâcheuse tournure. Ceci va m’obliger à vous quitter pour quelque temps. Mais j’ai l’assurance de vous revoir très vite. Vous-même, comptez-y absolument. Notre séparation sera brève, ma chérie. Ne vous laissez donc pas abattre ni dépérir : c’est le vœu le plus ardent que je forme.

« J’ai une recommandation à vous adresser ; et par tout ce qui nous unit l’un à l’autre, je vous adjure de vous y conformer aussi scrupuleusement que possible. Il y a, dans la chambre dont j’ai fait mon laboratoire photographique, certains objets que je désire n’être vus de personne. Pour prévenir dans votre esprit toute équivoque, je vous affirme, ma chérie, que ce n’est rien dont j’aie à rougir. Néanmoins, je tiens