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néanmoins qu’il inspirait aux enfants autant de crainte que de dégoût, et qu’ils avaient pour cela de bonnes raisons, car fréquemment, mon cours était interrompu par ses éclats de colère et même par le bruit des coups qu’il administrait. Le docteur Mc Carthy passait dans la classe de Saint-James la plus grande partie de son temps, sans doute pour surveiller le maître plutôt que les élèves, et pour essayer de modérer ses violences quand il redoutait qu’elles ne devinssent dangereuses.

Saint-James affectait d’ailleurs envers notre chef l’attitude la plus outrageante. Je vérifiai par la suite que notre premier entretien m’avait donné le ton exact de leurs rapports. Il exerçait sur le principal une domination ouverte et brutale. Je l’entendis maintes fois le contredire grossièrement devant tout le collège. En aucun temps il ne lui montrait aucun respect. Je ne voyais pas toujours sans un mouvement de colère intérieure la paisible résignation du vieux docteur, et comment il tolérait ce traitement monstrueux. Pourtant, ce spectacle même faisait que le principal m’inspirait une vague horreur. En admettant comme exacte la théorie de mon ami, et je n’en voyais pas de meilleure, combien devait être noir le secret que l’autre tenait suspendu sur sa tête et dont la menace le forçait d’endurer des humiliations pareilles ! Ce doux, ce tranquille docteur dissimulait un profond hypocrite, un criminel, un faussaire, un empoisonneur. Seul, un mystère de cet ordre expliquait le pouvoir absolu qu’exerçait sur lui le jeune homme. Pourquoi, sans cela, eût-il admis dans sa maison une aussi odieuse présence, et, dans son collège, une influence aussi pernicieuse ? Pourquoi se fût-il soumis à des affronts dont on ne pouvait sans indignation être le spectateur, encore moins la victime ?

Cette hypothèse, toutefois, m’obligeait de reconnaître chez mon principal une duplicité extraordinaire. Jamais, ni d’un mot ni d’un signe, il ne marquait le moindre déplaisir de la présence du jeune homme. Certes, il y eut telle sortie particulièrement injurieuse qui sembla lui faire de la peine, mais pour ses élèves et pour moi, à ce que je crus sentir, et non pas pour lui-même. Il parlait à Saint-James, et il en parlait, avec indulgence ; il souriait bénignement de ce qui me faisait bouillir le sang. Dans sa façon de le regarder, de lui adresser la parole, on ne distinguait aucun ressentiment, mais plutôt une sorte de bonne volonté timide et de prière. Il recherchait certainement sa compagnie, et ils passaient des heures ensemble, soit dans son cabinet, soit au jardin.

Quant à mes relations personnelles avec Théophile Saint-James, je m’étais promis, dès le début, de toujours garder près de lui mon sang-froid, et je tins ma promesse. S’il plaisait au docteur Mc Carthy d’autoriser l’insolence et de pardonner les outrages, cela le regardait, et non pas moi. Son seul désir, c’était, évidemment, que la paix régnât entre nous ; j’avais, en m’y conformant, l’impression de lui être utile. Il me suffisait pour cela d’éviter mon collègue, et je m’y appliquais autant que possible. Quand nous nous trouvions ensemble, j’étais calme, poli et réservé. Lui, de son côté, ne me montrait pas de mauvais vouloir, mais, au contraire, une grosse jovialité et une familiarité rude qui voulait être aimable. Il s’efforçait, le soir, de me faire entrer dans sa chambre pour jouer aux cartes et pour boire.

« Le vieux Mc Carthy s’en moque, disait-il. D’ailleurs, ne vous inquiétez pas de lui. Prenez-en à votre aise. Je vous réponds qu’il ne fera pas d’observation. »

Je ne rentrai chez lui qu’une fois ; et quand j’en sortis, après une morne et fastidieuse soirée, je le laissai ivre-mort sur le sopha. Dès lors, je prétextai mes travaux particuliers et passai mes heures de loisir tout seul dans ma chambre.

Un détail m’intriguait vivement : à quelle époque remontait cet état de choses ? Quand Saint-James avait-il mis la main sur le docteur Mc Carthy ? Ni de l’un ni de l’autre, je n’arrivai à savoir depuis combien de temps mon collègue occupait sa situation. Je tentai une ou deux fois de les mettre sur la voie ; mais visiblement, ils éludèrent la question ou feignirent de n’y pas prendre garde ; et je compris que tous les deux tenaient autant à ne rien dire que moi à les faire parler. Un soir, enfin, j’eus la chance de bavarder avec Mrs. Carter, la lingère (car le docteur était veuf) ; et j’obtins d’elle le renseignement que je cherchais. Je n’eus pas