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en voiture jusqu’à Greta House, où j’habite. J’enverrai une carriole le prendre au train de sept heures, le seul qui s’arrête ici. Ne manquez surtout pas de me l’envoyer, Ellen, car j’ai des motifs sérieux de désirer sa présence. Si jadis, il a pu y avoir entre nous quoi que ce soit, laissons le passé rester le passé. Vous regretteriez, votre vie entière, de m’avoir fait défaut. »

Assis à notre table, l’un en face de l’autre, pour le déjeuner du matin, nous nous regardions troublés, ma mère et moi, nous demandant ce que cela voulait dire, quand un coup de sonnette retentit ; puis la bonne entra avec un télégramme. Il était de l’oncle Stephen et conçu en ces termes :

« Prie instamment John ne pas descendre Congleton. Carriole l’attendra train sept heures à Stedding Bridge, une station plus bas sur la ligne. Qu’il ne se rende pas directement chez moi, mais à Garth Farm House, à six milles. Il y recevra instructions. Ne pas manquer venir. Et suivre recommandations à la lettre. »

« C’est vrai, dit ma mère, du plus loin que je me rappelle votre oncle, il n’a jamais eu un ami au monde, ni mérité d’en avoir un. Il a toujours été très dur en affaires, et il refusa de s’intéresser à votre père quand il eût suffi de quelques livres pour nous sauver de la ruine. Pourquoi lui enverrais-je mon fils aujourd’hui qu’il en a besoin ? »

Mais j’avais un penchant pour les aventures.

« Si je gagne ses bonnes grâces, il peut m’aider dans ma carrière, représentai-je, prenant ma mère par son côté faible.

— Je ne l’ai jamais vu aider personne, dit-elle avec amertume. Que signifient, d’ailleurs, ce mystère, cette station éloignée où il vous faudra descendre, cette voiture pour une destination qui n’est pas la vraie ? Il s’est mis dans quelque fâcheuse histoire et désire que nous l’en tirions, quitte, le jour où nous ne lui serons pas utiles, à nous laisser de côté comme jusqu’ici. Votre père vivrait peut-être encore s’il avait daigné lui venir en aide. »

À la fin, cependant, mes arguments prévalurent ; car, ainsi que je le démontrai, nous avions tout à gagner avec mon oncle, et bien peu à perdre. Pourquoi, nous, les plus pauvres de la famille, irions-nous subitement offenser le plus riche ? Ma valise était déjà prête et mon cab à la porte lorsque arriva un second télégramme :

« Bon pays de chasse. Que John apporte fusil. Se rappeler Stedding Bridge, pas Congleton. »

J’ajoutai donc un fusil à mon bagage, et quelque peu surpris par l’insistance de mon oncle, je partis. Le trajet s’effectue par la grande ligne du Northern Railway jusqu’à la station de Carnfield, où l’on prend un petit embranchement qui serpente à travers de la pierraille. On ne trouverait pas dans toute l’Angleterre un paysage plus impressionnant et plus âpre. Deux heures durant, je traversai des plaines accidentées et désolées, coupées de monticules caillouteux, où, par intervalles, le roc affleurait en longues dentelures droites. Çà et là, de petits cottages aux toits gris, aux murs gris, se pressaient en village ; mais l’on parcourait des milles sans apercevoir ni une maison, ni rien de vivant, sauf des troupeaux disséminés sur les pentes. Pays déprimant, dont l’aspect me pesait de plus en plus sur le cœur à mesure que j’approchais du terme de mon voyage. Enfin, le train fit halte au petit village de Stedding Bridge, où mon oncle me priait de descendre. Une carriole délabrée, conduite par un rustre, m’attendait à la station.

« C’est la voiture de M. Stephen Maple ? » demandai-je.

L’homme m’inspecta d’un air soupçonneux.

« Comment c’est-y que vous vous appelez ? fit-il, parlant avec un accent que je n’essaierai pas de rendre.

— John Maple.

— Quoi qu’y a qui le prouve ? »

Déjà, je levais la main, car je ne me pique pas d’avoir bon caractère ; mais je réfléchis que l’individu ne faisait, sans doute, que se conformer aux ordres de mon oncle. En guise de réponse, je lui montrai mon nom marqué sur l’étui de mon fusil.

« Bon, bon, ça va. Pour sûr que c’est vous, John Maple ! articula-t-il lentement. Montez, patron, nous avons un bon bout de chemin à faire. »

La route, blanche et luisante, comme toutes les routes dans cette région de calcaire, décrivait, par-dessus le caillou-