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même temps, sous le nom d’emprunt d’Horace Moore, il sollicitait à son tour, et pour son propre compte, la formation d’un second train spécial, espérant par là se faire admettre à voyager avec Caratal, ce qui, éventuellement, pouvait nous rendre service. Supposé, par exemple, que notre coup manquât, un devoir s’imposait à notre agent : tuer les deux hommes et détruire leurs papiers. Mais Caratal, qui se méfiait, refusa d’admettre personne. Mon agent sortit de la gare par une porte, y rentra par une autre, et s’introduisit à contre-voie dans le fourgon du conducteur Mc Pherson, avec lequel il fit le voyage.

« De mon côté, je ne restais pas inactif. Notre organisation, achevée depuis des jours, n’avait plus besoin que du coup de pouce. L’embranchement par nous choisi se trouvait coupé de la grande ligne : pour l’y raccorder de nouveau, il suffirait de quelques rails remis en place. Nous en posâmes toute la longueur possible sans risquer d’éveiller l’attention ; il n’y aurait plus ensuite qu’à compléter la jonction et rétablir les aiguilles. Les traverses n’avaient jamais été enlevées ; rails, coussinets, rivets, nous avions tout à pied-d’œuvre, l’ayant pris à une voie de garage sur une section abandonnée de la ligne. Grâce à ma petite équipe d’ouvriers spéciaux, tout fut en état bien avant l’arrivée du spécial. Et quand il arriva, il s’engagea si aisément sur la voie latérale, qu’il ne semble pas que les voyageurs aient ressenti la moindre secousse en franchissant l’aiguille.

« D’après nos plans, Smith, le chauffeur, devait chloroformer John Slater, le mécanicien, puis s’éclipser avec les autres. Sous ce rapport, mais sous ce rapport seulement, nos plans échouèrent (car je ne parle pas de la criminelle folie de Mc Pherson le jour où il écrivit à sa femme). Notre chauffeur, en effet, s’y prit si maladroitement que Slater, en se débattant, tomba de la machine. Sans doute notre chance voulut qu’il se rompît le cou dans sa chute ; mais l’accident n’en reste pas moins une tache sur ce qui serait, sans cela, un de ces chefs-d’œuvre qu’on ne peut que contempler avec une admiration muette. Pour peu qu’on s’y connaisse, on verra chez John Slater le seul point faible de nos admirables combinaisons. On peut se permettre d’être franc après un triomphe : c’est pourquoi je proclame, mettant le doigt sur John Slater, que ce fut là notre point faible !

« Mais voici le train spécial engagé sur la voie de deux kilomètres – de plus d’un mille, pour parler exactement, – qui mène, ou, plutôt, menait à la Heartsease, l’une des principales mines de charbon de l’Angleterre. On me demandera comment il se fit que personne ne remarqua le passage du train sur cette ligne hors d’usage. Je répondrai que, sur toute sa longueur, elle court dans une tranchée profonde, et qu’à moins d’occuper le bord du talus on ne pouvait la voir. Il y avait quelqu’un au bord du talus. Il y avait moi. Et je dirai ce que je vis.

« Mon auxiliaire gardait l’aiguille, de façon à commander la direction du train. Il avait avec lui quatre hommes armés ; ainsi, dans le cas d’un déraillement que rendait probable l’état de l’aiguille rongée par la rouille, nous avions la ressource de tomber encore sur les voyageurs. Une fois le train aiguillé, il me passait les responsabilités. J’attendais donc, en armes, moi aussi, et en compagnie de deux hommes également armés, à un